L’EXEMPLE DE L’HISTOIRE DE QIRAN AL ‘AJAIZ ET DU RITE D’OUM AL GHEITH
Issue 21
L’étude porte sur les deux notions de conte et de rite dans le patrimoine populaire, à travers l’analyse d’un rite et d’un récit liés à l’eau dans la culture populaire arabe que l’auteur se propose de lire, l’un et l’autre, en tant que témoignagesdu rapport entre le folklore et la vie des hommes, dans ses dimensions pédagogique et cognitive.
Le premier exemple choisi est un conte dont le contenu développe le sémantisme de la dénomination – qiran al ‘ajaïz (les vieilles inséparables) – donnée aux derniers jours du mois de février et aux premiers jours du mois de mars ; le second exemple est le rite d’Oum al ghaïth(la mère de la pluie abondante) qui représente l’échange entre données naturelles et données humaines au niveau de la superstructure de la vie populaire.
Il y a quelquechose de vain à vouloir parler du rapport de l’homme à l’eau, car cela ne saurait ajouter au savoir ce qu’y ajoute un seul moment de soif ou un hoquet provoqué par un excès alimentaire. Mais le discours sur la littérature de l’eau est toujours plaisant autant qu’utile. Si les chercheurs faisaient un inventaire des occurrences de l’eau dans les textes littéraires ils en tireraient un ouvrage encyclopédique, qu’il s’agisse de l’eau quand elle est rare et introuvable, de l’eau accessible à tous ou de cette entité si étrange et pleine de mystères ou encore de cette présence si chère qui purifie les corps autant que les esprits.
L’étude ne se veut ni une enquête ni une exégèse de ce que les hommes expriment, en leurs haltes et en leurs voyages, en leur silence et en leurs coups de colère. Son seul objet, ici, est de tenter d’expliciter deux notions liées à la littérature populaire : le conte et le rite, qu’il convient de distinguer en examinant les données propres à chacun.
La lecture du conte montre que celui-ci inscrit dans l’imaginaire et la culture populaires l’attitude des gens à l’égard des mois d’hiver. On ne peut en effet se fier au mois de février tant qu’il n’est pas terminé et que mars n’a pas commencé ; même les derniers jours de février ne sauraient inspirer confiance, les bédouins le saventqui doivent, au cours de ces journées,se tenir éloignés des valléeset des rivières.
Le conte étudié a permis d’inventer un nom pour les quatre derniers jours de février et les trois premiers de mars : qiran al ajaïz, qiranou qransignifiantentrelacs, ce qui renvoie à cet enchevêtrement climatique qui existe entre les journées de fin février et celles de début mars.
La lecture et/ou l’écoute du conte nous amène à constater que le récitne revient pas, d’uneversion à) l’autre, de façon identique quant à la forme ou au rythme. On y voit le héros passer d’un état heureux à une situation de malheur ou d’anéantissement; or, ce héros est en réalité le mois de février qui a été vilipendé au point que mars est venu à son secours en lui faisant l’offrande de quelques journées afin de lui permettre de venir à bout de ses contempteurs.
Le conflit n’est pas, ici, entre le bien et le mal mais entre le savoir et l’ignorance. La vieille femme qui se laisse emporter par les flots est une ignorante, et c’est son ignorance qui la conduit à sa perte car, si elle avait eu connaissance de l’ordre des saisons elle n’aurait pas médit de février.
Hikmet al Nouayssa
Jordanie