LES RITES ET LEGENDES AMZIGHES (BERBERES) D’IMPLORATION DE LA PLUIE EN AFRIQUE DU NORD
Issue 14
Mohamed Oussous(Maroc)
L ’un des rites les plus répandus dans les différentes régions de l’Afrique du Nord, arabophones aussi bien que berbérophones, est celui de la taghinja, « la mariée de la pluie ». Il s’agit d’une procession organisée lorsque la sécheresse menace la terre, les récoltes, les sources d’eau, pour implorer le ciel afin qu’il pleuve.
Ici, les pratiques rituelles se ressemblent, en leurs principales modalités, d’une région à l’autre du Maghreb. Les rares différences concernent surtout la forme, ainsi que le montre l’éminent spécialiste du monde amazigh, Emile Laoust, dans son ouvrage : Mots et choses berbères, dont il consacre une partie importante aux différentes formes de taghinja qui sont pratiquées par les tribus des différents pays de l’Afrique du Nord.
Ces rites, appelés tasslit ou nzar, de la taghinja (prononcé également taghlinja) consistent en une procession où femmes et enfants vont de douar en douar, de village en village ou de sanctuaire en sanctuaire, précédés d’une cuiller revêtue de la parure d’une mariée tasslit. Sur son passage, cette poupée est aspergée d’eau du haut des maisons. Des dons et des aumônes sont recueillis auprès des habitants qui seront par la suite consacrés à un banquet rituel, organisé, selon les régions, à proximité d’un cours d’eau, d’un champ de blé, du sanctuaire d’un saint ou au-dessus d’un monticule. Tels sont, dans leurs grandes lignes, les aspects communs du rite. Les variantes – qui sont minimes – concernent la forme de la poupée, la matière dont elle est faite, son habit, le nom qui lui est donné ou les chants qui accompagnent la procession.
Même si cette poupée est faite en général d’une cuiller (aghinja) revêtue d’une robe de mariée ou, tout simplement, de la cuiller exhibée telle quelle, au cours de la procession, comme c’est le cas dans l’île tunisienne de Djerba ou dans le Mzab algérien, on connaît des cas où cet ustensile est remplacé par une canne, un entonnoir ou une fourche. Mais, quel que soit l’objet ou le matériau dont elle est fabriquée, la poupée porte toujours le nom de ghounja, taghlinja, tasslit ou nzar.
Les chercheurs qui ont étudié ces rites ne se sont guère arrêtés sur leurs mythes fondateurs, exception faite de Genevois qui a découvert chez la tribu des Aït Ziki, en Kabylie, un récit de la plus haute importance, récit dont certains auteurs ont pu suggérer qu’il a existé à un certain moment avant que la trace en fût perdue.
Les rémanences des anciennes croyances amazighes ainsi que les traces de la mythologie nord-africaine gisent encore à l’état inconscient dans les comportements, rites et coutumes des Maghrébins, même si ces croyances ont disparu, en tant que manifestations concrètes, et totalement sombré dans l’oubli. Leurs empreintes sont en effet toujours présentes dans la langue et les gestes quotidiens, même si l’Islam s’est partout imposé, en tant que composante essentielle de la culture maghrébine. Car l’islamisation des Amazighs ne s’est pas faite sans qu’aient persisté diverses « colorations » remontant à de fort anciennes mythologies qui plongent leurs racines dans un fonds méditerranéen antique. Nous ne pouvons à cet égard comprendre certaines attitudes ou certains comportements sociaux que l’on peut observer, aujourd’hui encore, en Afrique du Nord, sans recourir aux rares éléments qui ont survécu, par-delà l’oubli, de cette mythologie et dont la collecte, l’archivage et l’étude devraient contribuer à lever le voile sur beaucoup de secrets, de croyances, de rites et de traditions des populations amazighes et, en même temps, à faire la lumière sur divers aspects de la culture populaire maghrébine, avec ses deux versants arabe et amazighe.
Un tel travail permettra également d’analyser et d’interpréter les symboles et les motifs fonctionnels qui reviennent le plus souvent dans les rituels, les tatouages, les tissus, les cérémonies, les chants, les chansons et les poésies. Même si la mythologie amazighe a perdu la partie la plus importante de ses textes et de ses manifestations, même si elle a subi des transformations pour des raisons qu’il serait trop long d’expliquer dans la présente étude, les rites ont pu jusqu’ici résister au temps. Ils sont toujours divers et nombreux, même si l’on note un début de régression, au cours de la dernière période, mais on ne peut en comprendre la signification sans revenir à la mythologie, les rites n’étant, dans certains cas, qu’une résurrection du mythe et une célébration de ses occurrences légendaires. Le rite est, selon Gusdorf, réaffirmation du mythe, à moins qu’il ne soit le mythe devenu mouvement ou action, pour reprendre l’hypothèse de Van der Lew.