LES METS POPULAIRES EN SYRIE
Issue 14
Awadh Saud Awadh(Syrie)
L ’étude porte sur l’influence du lieu ou de l’environnement sur les mets populaires. Nul, ne saurait ignorer l’importance d’une telle influence : pour prendre un exemple, le bédouin qui vit au cœur des étendues désertiques ne pourra faire du poisson sa nourriture de base, ne serait-ce que du fait qu’il vit loin de la côte et que son troupeau de moutons ou de chèvres lui fournit la viande nécessaire à ses besoins. On comprend qu’il ait mis tant de raffinement à élaborer des plats à base de viande : lorsqu’il reçoit un invité le premier réflexe du bédouin sera d’égorger un mouton – en prévision, certes, du jour, où il sera à son tour invité, mais aussi parce que l’hospitalité est la première vertu de l’homme du désert.
Quant à l’habitant de la côte, c’est la mer – qui est son amie – qui lui fournit sa nourriture ; c’est d’elle qu’il vit et c’est grâce à la pêche qu’il assure la survie des siens. Pour le campagnard qui laboure et ensemence la terre, sa nourriture consistera principalement en légumes et céréales. Le citadin aura, pour sa part, besoin du labeur de tous ces hommes pour se nourrir car il vit de son savoir-faire manuel.
Si l’on passe en revue les mets populaires, on remarque aisément qu’ils se fondent sur les produits liés au milieu naturel. La Syrie – que l’on appelle également le pays de Cham et qui jouit d’une grande variété de paysages : la mer et les zones côtières, la montagne et les plaines, les déserts et les zones arides – présente au visiteur une grande variété de plats dont chacun est le symbole d’une région particulière. Mais, comme les villes et les villages sont proches les uns des autres, les échanges culinaires ont toujours joué un rôle important, d’autant qu’il n’existe guère, à proprement parler, de barrières géographiques ou religieuses, ni, encore moins, sachant que la plupart des villageois ont des origines bédouines, de préjugés liés aux coutumes et aux traditions.
Quant aux habitudes liées aux lois de l’hospitalité, elles sont plus proches de la vie des bédouins que de celles des citadins. L’hospitalité a vu le jour dans les zones désertiques qui imposent aux populations de se déplacer continuellement d’un endroit à l’autre et, dès lors, d’être régulièrement les hôtes les unes des autres. Elle est donc devenue non seulement l’un des fondements de la culture bédouine mais un sujet de fierté pour chacun. Le renom autant que le besoin matériel ont joué à cet égard un rôle important et déterminé le comportement des hommes. La femme elle-même en a fait un critère essentiel en se réservant le droit d’accorder ou de refuser sa main à tel ou tel prétendant, en fonction du degré de générosité que le groupe lui reconnaît.
Quant aux coutumes de table, il est d’usage que l’on mange avec les mains, surtout à l’occasion des fêtes ou des repas de cérémonie, où tout le monde se sert dans le même plat. C’est là une coutume bédouine à laquelle s’ajoute l’insistance que l’on met à inviter l’hôte à se servir toujours davantage. Ne dit-on pas que « la nourriture des hommes doit être en proportion de leurs actions » et que « l’unité de mesure de la satiété est quarante bouchées » ? Pour les campagnards et les citadins, ils se servent habituellement de la cuiller et, quand cela est nécessaire, du couteau et de la fourchette. Ici, l’invitation se borne à une seule ou à quelques personnes, alors qu’en milieu bédouin c’est toute le village qui est convié.
On ne saurait, en l’occurrence, isoler les traditions culinaires de l’environnement dans lequel vit l’individu, ni de sa situation matérielle. On sait que la nourriture du riche diffère, en quantité comme en qualité, de celle du pauvre. Il en est de même de la façon dont le riche regarde la pauvre. « Lentes sont aux yeux de l’affamé les miettes qui tombent vers lui de la main du rassasié», dit le dicton.
Le fait essentiel reste, comme il a été signalé plus haut, que la nourriture est liée au milieu : les gens de la côte se nourrissent des richesses que leur prodigue la mer, les campagnards des produits de la terre, les citadins dépendant de ces deux milieux et important leur nourriture des régions voisines.