MANAMA CAPITALE DE L’EXCELLENCE CULTURELLE 2012
Issue 16
Manama, ce collier de perle, joyau de la culture arabe, a été choisie comme capitale culturelle des Arabes pour l’année 2012. C’est une ville de culture, avec toutes les significations et toutes les connotations auxquels renvoient ces mots. Que l’on songe au temps où le Bahreïn fut le foyer ardent des arts populaires, dans la région du Golfe et dans l’ensemble de la Presqu’île arabique, ou à cette ferveur populaire qui accompagna la puissante dynamique culturelle que le pays a connue et qui n’a jamais faibli depuis qu’elle a pris son essor, dans les années vingt, et jusqu’à ce que l’Etat ait pris les choses en main, vers le milieu des années soixante-dix et tout au long des dernières décennies du vingtième siècle.
Notre témoignage sur le Bahreïn, à nous les fils de ce pays, pourra être sujet à caution, mais c’est un fait que Manama a vu, des décennies durant, se bousculer les créateurs bahreïnis. Elle les a vus déployer leur génie dans les différents domaines de la vie culturelle et attirer dans cet élan les artistes, les penseurs, les intellectuels de tous bords. L’on comprend dès lors que le public ait aujourd’hui tant de mal à faire son choix parmi les multiples manifestations qui s’offrent à lui, à décider laquelle répondra le mieux à ses goûts ou à ses besoins, ou à répondre aux attentes de tous ces créateurs qui lui sont si chers et dont les œuvres le sollicitent avec la même force, souvent au cours de la même nuit et tout au long de la même semaine. Les activités populaires s’offrent en effet avec la même généreuse profusion que les programmes culturels officiels ou semi-officiels, ou que les autres manifestations organisées par les institutions de la société civile.
A regarder les choses de près on a du mal à concevoir que le Bahreïn ne soit que pour une année seulement « capitale de la culture arabe », et que l’on puisse ensuite voir s’éteindre les lampions de la fête. Ce pays n’est-il pas, depuis le début des années soixante-dix, ce foyer ardent de la culture dont les récentes menées destructrices n’ont en rien affaibli la flamme magnifique ?
En réalité, c’est précisément dans ces circonstances-là que le Bahreïn se doit d’avancer résolument sur la voie de l’excellence, en ayant pour point de mire l’année de « Manama, capitale de la culture arabe », de sorte à surpasser sa contribution habituelle à la culture en présentant des réalisations qu’aucune autre capitale culturelle arabe n’aurait pu imaginer.
Les congrès, symposiums et autres soirées musicales sont en effet devenues autant de manifestations routinières, peu susceptibles de créer l’événement, d’apporter du nouveau ou d’être une source d’enrichissement durable. Si l’on passait en revue les réalisations accomplies par les différentes capitales arabes, depuis que l’idée de ces hommages a pris naissance et jusqu’à ce jour, on verrait aisément que toutes ces célébrations n’ont guère dépassé le stade de la simple mobilisation, même si c’est à un degré d’intensité plus élevé, de ces activités, toujours les mêmes, que les Etats organisent en les répartissant sur les douze mois de l’année. Pas une seule capitale n’a en effet proposé autre chose que d’inviter poètes, artistes, penseurs, hommes de lettres, orchestres de musique à reproduire ce qu’ils ont toujours eu coutume de montrer au public. Le rappeler n’est en rien diminuer le mérite qui fut celui de ces capitales lorsqu’elles ont œuvré à rassembler les hommes de l’art et de la culture afin qu’ils communiquent, échangent leurs expériences ou, pourquoi pas, tout simplement se connaître. Mais l’objectif suprême de toutes ces actions, qui est de tirer le meilleur profit de ce grand rassemblement de créateurs, ne semble pas avoir été la finalité de l’effort accompli par les capitales culturelles. Car, d’habitude les hommes politiques n’ont d’autre but que de réussir à inscrire leur capitale sur la carte culturelle de la région, laissant ensuite leurs structures culturelles tenter avec les moyens du bord de relever le défi que représente l’honneur d’un tel choix.
Existe-t-il, par exemple, une seule capitale culturelle ayant élaboré une stratégie nationale de la culture ? Ou bien l’idée d’un plan global pour la culture arabe a-t-elle été évoquée dans un seul pays arabe afin que ce pays puisse tirer profit des réalisations accomplies par l’Organisation arabe pour l’Education, la Culture et les Sciences (ALECSO) ? A-t-on entrepris où que ce soit une véritable étude sur tel ou tel aspect de la crise par la quelle passe notre culture ? S’est-on jamais demandé pourquoi nous sommes à la traîne des nations qui avancent sur la voie du progrès ? A-t-on concrètement réfléchi aux raisons du déclin de la chanson dans le monde arabe ? S’est-on posé la question du recul du théâtre face aux téléfilms ? Des ateliers de travail ont-ils été organisés pour évaluer l’impact des moyens de communication sociale sur la culture des jeunes ? Des études ont-elles été menées pour connaître les raisons qui amènent les Etats à s’abstenir de collecter et de documenter la matière du patrimoine populaire, à travers une démarche scientifique rigoureusement définie ? S’est-on posé la question de savoir pourquoi l’on s’obstine tant à marginaliser la culture populaire ? De savoir aussi si une seule capitale culturelle a cherché à comprendre pour quelle raison les activités culturelles se trouvent réduites dans la plupart des régions du monde arabe à de simples activités médiatiques à caractère festif et ostentatoire ? De savoir également pourquoi l’on tend à importer des activités hôtelières prêtes à l’emploi ? Et pourquoi tant d’argent est dépensé pour organiser des conférences et des colloques dont les recommandations sont ensuite jetées à la poubelle ? Pourquoi les Etats, au nom de la culture, gaspillent-ils tant d’argent et d’efforts à poursuivre de grands projets vides de toute finalité, alors que les institutions culturelles populaires s’exténuent à quêter des aides financières bien modestes pour mener à bien des activités culturelles authentiques ?
Nous pourrions continuer à poser et à reposer ces questions qui, si elles prouvent quelque chose, prouvent combien nombreux sont les domaines où l’on attend des réponses de la part d’une capitale de la culture arabe qui rompe avec la routine des célébrations, mais la question est, aujourd’hui, de savoir si Manama est capable de relever le défi ? Et si le Bahreïn est capable de retrouver la place qui fut la sienne en tant que foyer des arts populaires dans sa région ? Ou s’il va faire comme les autres capitales de la culture arabe… ? Attendons la fin de l’année prochaine pour observer et répondre.
Nous le disons au moment où paraît ce numéro de la revue et où le pays célèbre sa Fête nationale, en achevant de panser ses plaies et de surmonter, grâce à la détermination de son peuple, les effets de la discorde et de la crise sécuritaire qu’il a connues, en œuvrant à parer aux atteintes touchant à son unité nationale et en avançant résolument sur la voie de la démocratie et de la pleine réalisation de son projet de réformes – projet dont l’un des plus beaux fruits est le soutien apporté à la publication de La Culture populaire, afin de combler un vide, tant à l’échelon local qu’au niveau de la région du Golfe et de l’ensemble du monde arabe, et de jeter un pont vers les autres cultures du monde. La revue entame aujourd’hui sa cinquième année d’existence, toujours fidèle à ses principes et à sa démarche scientifique spécialisée, toujours plus soucieuse d’attirer les compétences scientifiques les plus reconnues, de susciter le débat et le questionnement en mobilisant de nouvelles compétences, de documenter la part de l’héritage laissée en déshérence, tout en veillant à maintenir son niveau d’exigence académique et artistique, à assurer la régularité de sa parution et, grâce à sa coopération avec l’Organisation internationale de l’art populaire, à toucher les lecteurs les plus éloignés.
La Culture populaire entre donc dans sa cinquième année avec la même confiance qui anime le Bahreïn qui réussit à surmonter toutes les épreuves et ne cesse, d’une Fête nationale à l’autre, de grandir et d’avancer sur la voie de l’excellence. Et c’est ainsi que notre revue demeure le message du patrimoine populaire que le Bahreïn adresse au monde.
Culture Populaire