SUR L’EMISSION DE LA MONNAIE ISLAMIQUE
Issue 6
L a monnaie est une donnée importante dans la mesure où elle constitue l’un des fondements et des emblèmes de l’Etat autant qu’un des symboles de sa grandeur. Elle est étroitement liée à l’économie, aux législations et aux autres fonctions de l’Etat mais aussi à ses rapports avec les Etats voisins et contemporains. Elle est révélatrice de bien des secrets et représente le meilleur témoignage sur l’évolution des gouvernements qui se sont succédé à la tête de l’Etat. Aucun historien ne peut se passer de l’étude de la monnaie pour évaluer, ne serait-ce que de façon approximative, les ressources de tel ou tel pays.
Les spécialistes estimaient que les diverses monnaies arabo-islamiques ont uniquement servi dans les transactions et échanges commerciaux et que le numéraire ne pouvait d’aucune façon être utilisé à d’autres fins. Mais la science a montré que la monnaie avait un autre rôle non moins important que celui qu’elle joue dans le commerce, c’est le rôle d’information que l’on pourrait comparer à celui que jouent de nos jours la presse, la radio, la télévision ou les congrès. Nous n’en voulons pour preuve, estime l’auteur, que les centaines, voire les milliers de pièces de monnaie qui se trouvent dans les musées de Bagdad, du Caire ou des autres grandes villes arabes et islamiques. Les monnaies peuvent également être considérées, en leurs étapes successives, comme autant d’« écoles de dessin », dans la mesure où elles nous donnent un aperçu complet sur les caractéristiques générales mais aussi sur les particularités de telle ou telle époque. Les monnaies de Mossoul, de Bagdad, de Diyarbakir et de dizaines – de centaines – d’autres villes en sont le meilleur témoignage. La monnaie nous renseigne aussi sur l’évolution de la calligraphie arabe, dans ses diverses formes et constitue une source pour l’étude des ornementations de type géométrique, astronomique, végétal, animal, humain, etc. Il ne faut pas non plus oublier les informations qu’elle nous apporte sur les généalogies, la patronymie, les villes d’émission ou les emblèmes, informations dont l’étude exigerait, dans chaque cas, l’élaboration d’un dictionnaire spécialisé qui pourrait combler un grand vide dans la bibliothèque arabe.
L’auteur s’arrête longuement sur la question de la « mondialité » du Dinar islamique. Il souligne le rôle que le Calife Abd al Malik a joué dans l’histoire de la monnaie arabo-islamique en ordonnant de frapper le Dinar or et le Dirham argent, sachant que la mise en circulation de ces pièces de monnaie a eu d’importantes conséquences économiques et politiques, à l’échelle de la région islamique et du reste du monde. On pourrait même dire que cette initiative a véritablement révolutionné les systèmes financiers et économiques du moyen-âge. Le Dinar islamique s’est en effet progressivement répandu jusqu’à devenir la seule monnaie or du monde musulman, de la frontière de la Chine, à l’est, jusqu’à l’Andalousie, à l’ouest, et l’Etat islamique a mis en place des règles et des institutions pour le renforcer et le protéger. Or, le Dinar n’allait pas s’arrêter aux frontières du monde de l’islam mais investir les villes et les marchés du monde ancien.
Ce qui a sans doute contribué à asseoir la réputation de cette monnaie et à lui conférer une telle place, à l’échelle du monde, c’est la vigilance des califes et des gouvernants, de l’est à l’ouest de la terre d’islam, qui ont veillé à préserver le poids légal, le carat et la pureté du Dinar, même si de légères variations ont existé entre les Dinars frappés, sous le règne de tel ou tel Calife, les caractéristiques essentielles de cette monnaie ayant été conservées au long des siècles. Outre cet attachement de l’Etat araboislamique à la protection de la monnaie qui fut un des facteurs importants de l’expansion mondiale du Dinar, l’ensemble des Califes et des gouvernants ont tôt pris conscience du fait que la santé de l’économie et la préservation des intérêts des gens et de la réputation de l’Etat, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur sont étroitement liés à la santé et à la sincérité de la monnaie. C’est pourquoi ils ont édicté des règles et des principes de protection et veillé, personnellement ou à travers leurs représentants, à leur exécution.
Barakat Mourad - EGYPTE