DES ARTS MUSICAUX ÉTRANGERS INTÉGRÉS À L’HÉRITAGE CULTUREL MAROCAIN L’exemple de la mélodie grenadine
Issue 55
Mohamed El Aissaoui
Maroc
Le Maroc fut à travers l’histoire une terre de rencontres entre les anciennes civilisations qui marquèrent de leur empreinte le bassin méditerranéen. Il devint un terreau fécond pour des traditions musicales portant la mémoire de bien des époques et qui s’étaient enrichies au cours des siècles par de multiples influences musicales, certaines amazighes, d’autres arabes et d’autres encore venues du voisinage africain et méditerranéen. On estime à plus de cinquante le nombre de genres musicaux présents au Maroc, compte non tenu des nombreuses variations régionales que chaque genre a pu connaître. Ces genres sont eux-mêmes classés sur la base de la distinction entre citadin et rural, et entre les différents dialectes ou les différentes formes de relief (plaines, montagnes, désert, régions côtières…).
Quel que soit le biais que l’on adopte pour accéder au monde de la musique marocaine, on rencontre trois niveaux autour desquels sont classés les genres : la musique traditionnelle, la musique populaire et la musique moderne. Ces différents niveaux témoignent de périodes historiques différentes en rapport avec les éléments culturels constitutifs de la personnalité marocaine. À cet égard, nous trouvons, à la base, l’élément amazighe profond, ensuite les structures du maqam arabe, enfin la rythmique africaine venue du Sahara et des régions subsahariennes. À cela s’ajoutent la chanson andalouse de haute facture, outre diverses rémanences de l’héritage gréco-romain.
C’est ainsi que s’est formée la personnalité de l’héritage musical marocain à travers la rencontre d’éléments locaux et d’autres venus de l’étranger qui ont contribué de façon ou d’autre à enrichir et à renforcer le patrimoine culturel immatériel. Dans ce cadre, la mélodie grenadine apparaît comme l’une des variétés musicales qui se sont greffées sur la civilisation marocaine lorsque les musulmans ont dû quitter leur « paradis perdu », l’Andalousie, et que ce genre musical s’est répandu avec le temps sur une vaste échelle, devenant même une partie de l’identité de la société marocaine, voire un moyen de définir les Marocains, aux échelons régional, continental ou mondial.
De l’art mélodique grenadin on peut dire qu’il a des racines qui plongent dans les temps lointains et dont la trace est perceptible de nos jours dans les milieux artistiques et populaires, comme dans les allusions aux noms de ses promoteurs, mais aussi dans les paroles de ses chansons, dans ses mélodies, ses noubas et ses instruments musicaux. Les deux villes marocaines d’Oujda et de Rabat continuent à accueillir et à œuvrer à la sauvegarde de cet héritage grâce aux vieilles troupes musicales fondées par les pionniers ou à des ensembles créés par des jeunes qui œuvrent par des approches nouvelles à le transmettre et à le populariser auprès des nouvelles générations, mais aussi à le diffuser à l’étranger en participant à des festivals et autres manifestations internationales. D’autres institutions contribuent également de façon notable à la conservation de ce legs, et en premier lieu le ministère de tutelle qui s’efforce de le faire connaître sur de larges secteurs et d’apporter son soutien aux groupes musicaux afin de les encourager à poursuivre leur effort créateur au service de cet art, pourtant venu de l’extérieur du patrimoine culturel immatériel du Maroc, mais devenu l’une des composantes essentielles de l’identité marocaine.