L’OLIVIER DANS LE FLORILEGE DES PROVERBES POPULAIRES
Issue 55
Imad ben Salah
Université de Tunis
Président de l’Association Taz Ammourt
Le rapport de l’homme à l’olivier n’a jamais été purement utilitaire, pas plus qu’il ne s’est fondé sur la seule récolte des fruits qui sont ensuite pressés pour obtenir cette huile qui sera utilisée dans la cuisine, la médecine ou la préparation des produits de beauté. Ce rapport a atteint les niveaux les plus profonds et acquis une dimension tout aussi spirituelle que symbolique. C’est ce qui explique la sacralité dont tous les peuples et toutes les cultures et religions entourent cet arbre. La mémoire collective en a toujours conservé de belles images et représentations que les œuvres orales ont perpétuées et les proverbes formulées de la façon la plus expressive.
L’auteur se propose dans cette étude d’examiner la présence de cet arbre dans le recueil des proverbes de la Tunisie, en général, et de l’île de Djerba en particulier.
Il a pour l’essentiel organisé son enquête autour des multiples emplois des proverbes populaires se rapportant à l’olivier, à l’huile d’olive et à leurs dérivés. Ainsi a-t-il été amené à la « merveilleuse » découverte de la richesse linguistique, des profondes significations et des admirables métaphores et autres expressions rhétoriques liées à la présence de « l’arbre sacré » dans ces proverbes. Ces emplois et constructions linguistiques puisés dans la « culture de l’olivier » ne sont pas dans la conscience collective arabe de simples désignations puisées dans la langue classique ou le parler quotidien, pas plus, du reste, qu’ils ne se réduisent à des significations utilitaires univoques relevant des explications données par les dictionnaires. La présence massive des emplois métaphoriques dans les multiples circonstances et milieux culturels avec toutes les représentations métaphoriques qu’ils véhiculent est une des constantes du langage chez le locuteur arabe, lequel peut sans difficulté accéder à l’inépuisable réserve du patrimoine pour codifier son discours et appuyer son propos par des arguments imparables. Une telle dynamique de la créativité linguistique a permis de recueillir tous ces proverbes dans les dictionnaires des dialectes arabes et les lexiques du quotidien où le parler des pays et des régions côtoie les emprunts à d’autres cultures et sphères linguistiques. Les proverbes sont ainsi devenus une ressource à laquelle tout un chacun, quel que soit son niveau d’éducation, s’adresse pour enrichir et conforter son discours, et où puisent avec un égal bonheur l’écrivain aussi bien que le journaliste.
L’auteur souligne que le « florilège » auquel son étude fait référence est constitué d’occurrences en partie locales et en partie régionales et nationales. Ce corpus a en outre été enrichi par des proverbes similaires qu’il s’est employé à collecter dans les pays arabes du Maghreb et du Machrek. L’anthologie ainsi constituée est un véritable trésor de significations et de représentations symboliques qui continuent, à ce jour, d’inspirer peu ou prou la parole des hommes, à travers des formes de signification reconnaissables que le public décode et assimile sans problème pour les reproduire dans des contextes plus modernes. On voit donc que le proverbe sur lequel la parole s’appuie, au plan de la forme ou du contenu, n’est pas puisé dans les tréfonds de la mémoire ou dans les réserves du patrimoine, mais qu’il est simplement perçu en tant que littérature populaire servant de « marqueur du discours ».
L’auteur montre à travers des témoignages documentés que les significations de l’olivier et le système de proverbes qui s’y réfèrent et expriment au moyen du symbole l’un des aspects de la culture du groupe ont évolué et se sont enracinés, devenant aujourd’hui partie des systèmes d’expression de la collectivité arabe et, en même temps, l’une des clés de lecture du discours dans le champ public. Ainsi les proverbes doivent-ils être considérés comme la quintessence d’une expérience qui est à la fois locale et universelle, celle de la longue histoire des générations successives. Si l’on a dit – avec raison – que « la poésie est l’anthologie des Arabes », pour ce qui est de l’arabe littéral, il serait tout aussi juste de dire que les proverbes sont « l’anthologie de la culture populaire ». Et si l’on admet que la poésie versifiée est l’anthologie des Arabes, il faudra alors convenir que les proverbes populaires sont leur anthologie en prose. Peut-être même irons-nous jusqu’à dire que tous les proverbes constituent en eux-mêmes l’anthologie de la totalité des peuples.