LA DANSE D’AL HOUARA Une approche socio-ethnographique
Issue 50
Abdallah Al Hilali
Il suffit de regarde les danses folkloriques marocaines qui brillent de tous leurs feux lors des spectacles présentés aussi bien dans le cadre des festivals culturels que dans les différentes fêtes populaires pour être envahi et subjugué par un mélange de sensations où la plaisir se confond avec l’étonnement et tout un ensemble de sentiments difficiles à décrire ou, même, à nommer. Ce sont peut-être ces réactions inexplicables qui poussent certains chercheurs, comme l’auteur de ces lignes, à ne pas s’arrêter au seuil de l’étonnement et à mobiliser leurs capacités intellectuelles pour examiner par le moyen de l’intelligence analytique ces danses et tenter d’en saisir les multiples significations.
L’auteur a choisi dans la présente étude de travailler sur une danse encore vivace dans la région de Houara qui se trouve dans la plaine du Sous, au Maroc. Il s’agit d’un art unique par sa chorégraphie, le caractère particulier du choix et de la distribution des danseurs, la dimension esthétique et culturelle des corps en mouvement et la symbolique des instruments de percussion dont s’accompagne le spectacle. Cette danse est appelée al laghta (indique en dialectal marocain un état d’effervescence, de sidération) mais aussi al wannassa (indique dans le même dialecte la familiarité, la chaleur de l’amitié), appelons-la en toute simplicité la danse d’al houara , pour ne pas nous laisser enfermer dans une dénomination trop locale.
L’auteur définit au départ un cadre général à partir duquel il présente des modèles analytiques proches de la problématique de la danse. Il élabore ensuite un modèle analytique où il associe les deux approches sémiologique et ethnographique. Ce modèle a été adopté parce qu’il permet par certains côtés de respecter le principe de non-redondance sur lequel insiste Émile Benveniste, deux contextes sémiotiques différents (celui de la danse et celui de la langue, par exemple) ne pouvant se substituer l’un à l’autre, et l’homme ne pouvant recourir à plusieurs contextes pour définir un seul rapport de signification. L’auteur a également conscience de la fonction esthétique que remplit en général le signifiant, et du fait que celui-ci jouit d’une autonomie qui fait que sa valeur émane de lui et que certains arts qui portent sur une thématique qui leur est propre assument une fonction seconde qui est la communication.
L’analyse du niveau chorégraphique de la danse d’al houara ainsi que le contexte dans lequel celle-ci se produit et les accessoires qui y sont liés a permis au chercheur d’avancer que :
- La danse d’al houara est une performance où interagissent divers contextes sémiologiques.
- Les significations de la performance résident, au premier chef, en la danse elle-même, le niveau de signification optimal étant atteint lorsque le récepteur se sent par un effet de contagion assailli par le besoin de se mettre en mouvement à l’imitation des danseurs ; elles résident également dans le jeu des suggestions qui naissent de l’unité gestuelle la plus impressionnante sur le plan esthétique, celle qui constitue l’acmé de la danse, symboliquement l’apogée du spectacle, la référence centrale pour les autres unités gestuelles.
- Les danseurs de la laghta sont des corps présents qui écrivent la gestuelle de corps absents. La recherche effectuée par l’auteur l’a conduit à s’interroger sur la signification suggérée par la laghta et à conclure que le signe axial dont on peut partir est le dialogue chorégraphique entre le danseur et la danseuse qui nous place devant deux entités : l’une qui punit et dont la gestuelle exprime la flagellation ou la lapidation, l’autre qui subit la punition se tordant et vacillant sous l’effet de la douleur ressentie. La tenue appelée takchita que porte la danseuse a un rôle fonctionnel : elle met en valeur et amplifie les mouvements tout en ralentissant leur dissolution devant le regard du spectateur et en soulignant les frontières du corps en action qui s’y drape.
- Les trois niveaux gestuel, rythmique et linguistique se conjuguent pour consacrer la « punition » en tant que signification suggérée par la danse.
Au terme de cette analyse dont il reconnaît le caractère relatif, l’auteur n’estime pas avoir résolu de façon définitive la question de la dimension signifiante de la danse d’al haouara.