Revue Spécialiséé Trimestrielle

LE RÔLE DU MERVEILLEUX DANS LA CONSTRUCTION DU PERSONNAGE L’histoire du roi Seyf ibn Dhi Yazîn comme exemple

Issue 37
LE RÔLE DU MERVEILLEUX DANS LA CONSTRUCTION  DU PERSONNAGE  L’histoire du roi Seyf ibn Dhi Yazîn comme exemple

Safa Dhiab

 

Le merveilleux joue un rôle important dans la conception d’un personnage qui sort de l’ordinaire. Il « reconfigure » cet être imaginaire et lui confère à l’intérieur du discours narratif une tout autre dimension que celle de l’être ordinaire. Le merveilleux a fait du roi Seyf, enfant et adolescent abandonné, un homme plein d’assurance qui n’hésite pas à engager le combat, quel que soit l’adversaire, et à aller de victoire en victoire. Un homme qui s’aventure au cœur du désert sans avoir peur de l’inconnu, plonge dans de vastes océans où il va vers le large sans se soucier de la terre où il va aborder. Car, en toute circonstance, il a la certitude qu’il existe des forces mystérieuses et surnaturelles qui viendront à son secours.

Telle est la situation lorsque le merveilleux fait intervenir des forces externes. Mais il existe d’autres forces, d’ordre interne, biologique, qui surviennent et influent sur le destin du personnage. Elles peuvent être des êtres humains, des démons ou des objets inertes. Chouaieb Halifi estime qu’il existe deux forces constitutives des principaux traits du personnage merveilleux, une force intérieure et une autre extérieure : « Les personnages merveilleux, écrit-il, sont construits de façon précise en une conception à laquelle participe l’exploration de la vie intérieure de ces êtres : psychologie, pensées mais aussi divers acquis susceptibles d’évoluer. »

Parler de personnage merveilleux implique la recherche de la source du merveilleux qui constitue l’un des supports de tout ce qui relève de l’extraordinaire dans le texte. Aussi la question du temps et du lieu, vus sous l’angle du merveilleux, ne peut-elle pas être séparée de celle du personnage merveilleux lui-même. Postuler le caractère irréel du temps et du lieu constitue, dès le départ, une des exigences essentielles du texte merveilleux car c’est sur cette base que se construit la cohérence du texte narratif en tant que récit extraordinaire.

Chouaieb Halifi souligne que le personnage du conte merveilleux « est lié à des actes et événements mais aussi à une parole qui a une polysémie et une fonction que Greimas définit en tant que facteurs, c’est-à-dire unités ou lexèmes organisés à l’aide de marques structurantes. Pour Lotman il s’agit de la mobilisation des marques antagoniques et des marques distinctives. » Lotman ajoute que le personnage merveilleux est un personnage riche dont « la création requiert une exceptionnelle mobilisation des forces de l’imagination, perceptible aux indices annonciateurs des événements à venir. Les apports par lesquels le narrateur enrichit les personnages merveilleux en font des personnages fonctionnant en réseau avec les autres composantes du récit dont ils sont solidaires. Ces personnages ont, généralement, en commun un ensemble de caractères distinctifs qui différent par certains côtés d’un récit à un autre. Il existe entre le personnage et la thématique du récit une dialectique de fait qui génère un potentiel imaginatif de nature à inciter le lecteur à s’interroger, à hésiter, à demeurer perplexe devant l’étrangeté des entités ou actes sortant de l’ordinaire. »

Le personnage merveilleux est un être « différent » qui se construit sur la base d’un ensemble de formules à travers lesquelles le narrateur essaie de composer une personnalité différant de celle du commun des mortels. Il regroupe ainsi diverses créatures en une seule pour former un nouveau personnage, ou donne une âme à une entité inerte comme le bois ou la pierre précieuse. Les hautes vertus dont l’imagination a doté le personnage confèrent à son itinéraire une diversité qui enrichit le récit non seulement par l’aura qui entoure ce personnage mais aussi par le merveilleux qui rejaillit sur les événements et les êtres ordinaires, lesquels prennent une tout autre dimension en proportion des capacités et des pouvoirs de cet être d’exception auquel ils sont liés. »

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