Revue Spécialiséé Trimestrielle

LE TISSAGE TRADITIONNEL MAROCAIN : Une mémoire culturelle au féminin

Issue 29
LE TISSAGE TRADITIONNEL MAROCAIN : Une mémoire culturelle au féminin

La place de la femme dans le tissu social des tribus d’Aït Ourayne se mesure à sa compétence et au rôle qu’elle joue dans la vie sociale, à tous les niveaux. Mais c’est l’économie qui représente le secteur où l’épouse assume, en complémentarité avec son époux, une fonction active et productive, dans tous les domaines touchant de près ou de loin à l’économie, même si, au fond d’elle-même, sa participation aux travaux agricoles, aux côtés de son époux, s’accompagne le plus souvent de justifications tel que le besoin d’alléger le fardeau du mari qu’elle doit protéger et préserver car il est en soi un capital irremplaçable.

 

Le tissage et la tapisserie comptent parmi les plus importantes activités à caractère économique qu’exerçaient les femmes dans ces tribus, en réponse à cet impératif de complémentarité des rôles sociaux. Les femmes se partageaient à cet égard entre le tissage et des activités plus ordinaires comme l’éducation des enfants, l’élevage du bétail, la préparation des repas, etc. On pourrait même dire qu’elle se livrait à cette activité à ses heures de loisir, pour ne pas dire qu’elle s’efforçait toujours de dégager un intervalle à lui consacrer, au milieu de ses tâches quotidiennes.

Le tissage a été considéré, au long des siècles, comme une activité féminine, c’est du moins le cas, dans les pays arabes, en général, et plus particulièrement en Afrique du nord, quand bien même il connaît de nos jours un certain recul, les hommes s’étant mis à leur tour à cette activité.

Les femmes de la tribu marocaine des Aït Ourayne considéraient le tissage comme une activité centrale dans leur existence, même si la situation diffère selon le niveau social de chaque famille. Comment ces femmes ont-elles appréhendé cette activité ? Par quelles étapes passent-elles pour accomplir les tâches qu’elles accomplissent, dans ce type de métier ? Et quels sont les instruments dont  elles ont besoin à cet effet ? Le tissage et la tapisserie étaient-elles considérées comme un art pour les femmes de tribus d’Aït Ourayne ou, plutôt, comme une fonction économique ? Quelles sont les techniques utilisées par ces femmes dans ce genre d’activité ? D’un autre côté, quels types de tissages les femmes de ces tribus ont-elles l’habitude d’exécuter ? Enfin, le tissage traditionnel a-t-il été influencé par les avancées de la mondialisation et des technologies modernes ? Telles sont les interrogations autour desquelles l’auteur a organisé sa réflexion.

Le tissage traditionnel représente pour les tribus d’Aït Ourayne l’héritage populaire le plus important et l’essentiel de leur mémoire historique, d’autant plus qu’il fut pour l’essentiel une activité féminine et tint une place de choix dans la vie de ces tribus et dans le quotidien de leurs femmes. Ce rôle éminent n’a que rarement bénéficié de l’intérêt des chercheurs, en général, et des  sociologues, en particulier. Un sursaut s’impose car les chercheurs se doivent de revivifier cet héritage et de le replacer au premier rang des questions qui nous interpellent, ne serait-ce qu’en raison de la dimension qui est la leur dans toute réflexion sur l’authenticité sociale et culturelle.

Conclusion:
Le tissage était exercé par les femmes des tribus d’Aït Ourayne comme par les femmes des autres tribus amazighes du Maroc pour répondre aux besoins économiques, sociaux et naturels les plus immédiats de leurs familles. Au plan économique, cette activité constituait un moyen de survie, l’homme se chargeant de comercialiser la production pour l’achat des denrées de base. Au plan social, la prééminence au sein du groupe s’était toujours mesurée, dans le système culturel tribal, à l’aune de cette pratique, si bien que la maison où il n’y avait pas ce type d’activité et où l’on n’a jamais tissé, ne serait-ce qu’un seul tapis, ne pouvait faire partie de l’élite. D’autre part, et compte tenu des conditions climatiques souvent dures, les femmes étaient obligées de tisser des couvertures et des tapis de toutes les tailles mais aussi des habits chauds (djellabas, amples capes pour les femmes…) pour permettre à la famille d’affronter les rigueurs de l’hiver.

Il s’agit, de fait, d’un système social marqué dans la vie de la tribu par la continuité entre le culturel et le naturel, continuité dont le tissage était la meilleure illustration, même si cette activité évolue aujourd’hui trop lentement, quand elle n’est pas menacée de disparition. De nos jours, la femme n’est plus, en effet, capable de s’engager – ni même de concevoir qu’elle puisse s’engager – dans une aussi longue aventure que celle du tissage, en raison, nous dira-t-elle, du manque de temps, ou, plus  simplement, parce qu’elle n’a plus accès à cette traditionnelle compétence des femmes des tribus marocaines qui a disparu, comme le dit Jacques Berque1, avec leur disparition.

Ce déclin progressif a commencé à se préciser avec la pénétration des techniques modernes qui ont engendré de grandes mutations sociales dans les milieux ruraux du pays. Le tissage n’est plus tant lié au contexte bédouin qu’à celui de la ville, laquelle se pose désormais en rivale de la campagne, ce qui s’est du reste traduit par une restructuration, sous l’effet de la modernisation généralisée, des modes de production tribale. L’économie familiale qui était le principal fournisseur de produis tissés en laine a été supplantée par l’économie de marché, et le lien s’est rompu entre cette dernière et l’économie familiale. Les produits tissés dans le cadre du système tribal sont devenus des marchandises soumises aux lois du profit bien plus que des productions artisanales recherchées pour leur authenticité. Quant aux matériaux servant à la coloration elles ont vu les produits chimiques se substituer peu à peu aux produits naturels, si bien que l’on est passé de la tente à l’usine et du métier à tisser familial à la production industrielle.

Nous nous posons, ici, avec Jacques Berque2, la question de savoir si ces techniques modernes qui ont déstructuré cet artisanat traditionnel beaucoup plus qu’elles ne l’ont consolidé sont capables de renouer le lien qui le rattachait à son milieu naturel où prévalaient la fonctionnalité et les formes géométriques inspirées des paysages naturels.

Adress Maqboob
Maroc

Toute Issues