L’IMAGINAIRE COLLECTIF DANS LE CONTE POPUALIRE : ORGANISATION SOCIALE ET STRUCTURE NARRATIVE
Issue 28
Le texte du conte populaire est la reconstitution d’une structure sociale, tant au niveau de son architecture que de son contenu. Cette structure est à la base l’espace même de la production et de la circulation de ce texte, la société étant un tout cohérent recelant les éléments constitutifs de l’individu en tant qu’il est partie d’une entité collective. La socialisation fonctionne, en premier lieu, comme un processus d’intégration consensuelle de l’individu au groupe qui est le sien, de sorte que la partie obéit à la loi du tout, dans le cadre d’un processus structuré. Le moi énonciateur produit, dès lors, son texte sans sortir des limites de l’expérience de la société à laquelle il appartient et où il vit. Ainsi, l’énonciation, y compris lorsqu’elle est pratique artistique, n’est au fond qu’une production encadrée de façon conforme aux normes sociales pérennes, c’est-à-dire transmises d’une génération à l’autre. C’est pour cette raison que « le conte populaire porte la « marque » de la société où il a vu le jour et que ses composantes sont liées à la culture et aux coutumes de cette société. »
Le vécu réel de la société est en général le point de départ de l’acte artistique (c’est aussi pour cette raison que l’on parle de sociologie de la culture et de ses contenus). Dans l’acte de création, le moi individuel se met en situation de dialoguer avec son vécu, ses relations et les pratiques rationnelles et existentielles qu’il a expérimentées. C’est cela qui permet à l’œuvre d’art de circuler et de se répandre, au plan intellectuel et émotionnel, dans son espace collectif, ou, au contraire, de voir son aire de diffusion se restreindre et se rétracter, de sorte que l’on a fini par classer les arts comme arts de masse, pour certains, et arts destinés à l’élite, pour d’autres.
Cette distinction permet à l’auteur de définir les préalables qui fondent sa lecture du texte du conte populaire. Ce type de récit est en effet un texte lié de façon dialogique, du moins au moment de sa production, à la masse la plus large du groupe, c’est-à-dire à une réalité commune, unifiée, dont la perception représente une part effective de son univers imaginaire. La créativité du conte populaire est un processus amorcé d’une façon directe où la narration n’est pas une réponse à une décision élitiste mobilisant les facultés les plus puissantes de l’esprit (comme c’est le cas dans le roman contemporain). Ici, la distance entre l’expérience et l’univers du conte est brève et unilinéaire, de sorte que le texte du conte populaire représente une possibilité imaginaire relevant d’une réalité sensible. Son inscription dans un style direct à l’intérieur d’une stéréotypie textuelle tend à la similitude avec le modèle le plus proche. La grande proximité du texte du conte populaire avec son monde réel fait que son référentiel social apparaît de la façon la plus éclatante. Les textes que l’on trouve dans les recueils renvoient avec insistance à une société stéréotypée, à l’architecture et au contenu clairement définis. La société vivante est reproduite en parfaite adéquation avec sa cartographie juridique. D’un autre côté, le texte modifie l’onomastique pour ancrer les modèles sociaux dans une conception propre à mettre en valeur le caractère radical de sa socialité et de ses référentiels transcendants. C’est ainsi que les mots du texte reflètent et traduisent la réalité à laquelle ce texte se réfère.
La société représente dans sa structure une référence pour l’individu réel. Elle est l’espace à l’intérieur duquel cet individu exerce ses activités au quotidien, autant qu’elle est la condition nécessaire à tout travail productif. La société s’étend sous la forme d’un graphique qui délimite l’espace de fonctionnement de l’individu et organise sa pérennité à l’intérieur de cette aire.
L’élément axial de l’organisation et de l’évolution d’une société donnée est la communication, à tous les niveaux et sous toutes les formes. A l’intérieur de la société à laquelle ils appartiennent, les gens interagissent et communiquent de façon matérielle et symbolique. Ils le font grâce aux lois dont leur société s’est dotée et qui commandent leurs échanges matériels et moraux. Volontairement soumis à cette autorité, ils participent activement à la pérennité symbolique qui est à la base du fonctionnement continu du groupe. Celui-ci joue le rôle nécessaire qui est le sien vis-à-vis de la culture, de même que la culture exerce son action d’encadrement et de dynamisation au service de la pérennité du groupe. La langue occupe la place la plus haute dans l’échelle de la communication culturelle sociale, et c’est pourquoi les contes occupent une telle place dans la culture sociale ; ils se répandent à l’intérieur de sa dynamique culturelle avec une force proprement idéologique et reflètent dans leur structure la pensée du groupe, d’autant plus que la production narrative collective s’adresse à l’identité de ses récepteurs et les captive en leur contant leur propre histoire.
Mabrouk Dridi
Algérie