LE FOLKLORE DE TECHET: UN MODELE DE CEREMONIE
Issue 18
Salek Ould Mohamed El Mustapha ( Mauritanie )
L e mot “techet”, d’après Marmul Carvajal, auteur espagnol du XVIe siècle, natif de grenade, est formé de « te » qui signifiait alors la terre et de « cheto » qui désigne un peuple ayant anciennement vécu sur cette terre.
Quant à Hassan ibn Mohamed El Ouazzan El Fassi, plus connu sous le nom de Léon l’Africain, il écrit : « Techet est une petite ville bâtie par les Numides, aux confins du désert libyen. L’aspect de ses remparts, construits de briques non cuites, n’annonce guère une cité florissante. Ce serait même tout le contraire. Sa population est estimée à quatre cents feux, et la ville est entourée d’étendues sablonneuses, même si l’on trouve dans le voisinage un petit périmètre cultivé où poussent des palmiers et un autre où poussent l’orge et le blé qui forment la maigre pitance des villageois. Ceux-ci payent d’importants tributs aux bédouins qui bivouaquent dans les zones désertiques proches. Ils se livrent au commerce caravanier avec le Soudan et d’autres régions, si bien que la moitié d’entre eux seulement vivent en permanence dans les maisons… Noires de peau ou quasiment, ces populations n’ont guère d’éducation, à l’exception des femmes qui apprennent à lire et à écrire et jouent auprès des garçons et des fillettes le rôle d’instructrices. Lorsque les garçons ont atteint l’âge de douze ans, leurs parents les emploient dans leurs propriétés pour tirer l’eau des puits et retourner la terre. Les femmes sont plus grosses et blanches que les hommes. A l’exception de celles qui battent l’orge ou filent la laine, elles n’ont guère d’occupation. La pauvreté est le lot de chacun. Le bétail est rare, il est pour l’essentiel formé de caprins. Les hommes labourent la terre en se servant d’un chameau et d’une paire de juments, comme c’est le cas dans toutes les régions de la Numidie.
Diverses tribus se sont succédée en ces lieux. Le dernier Etat en date est celui des fils de Bella ben Daoud ben Mohamed ben Othman dont la dynastie s’éteignit en 1267 de l’Hégire, au terme d’une guerre fratricide qui vint clore la série de quinze guerres que connut Techet. Celle-ci est aujourd’hui au bord de la ruine car Dieu a voulu que ses fils qui l’édifièrent fussent ceux-là même qui la détruraient. »
Quant au Cheikh Sa’adabih ibn Cheikh Mohamed Fadhîl il écrit dans son exégèse du recueil de Mohamed Mouloud dit M’rabet Aghchamemt al Majlissy, intitulé Sullamu al idhar fî al farq beyna allayli wa nahar (L’échelle d’évidence dans la ligne de partage entre le jour et la nuit) : « Au commencement de Techet fut le pèlerinage à la Mecque accompli par un saint homme soudanais qui était aveugle. Ce pèlerin implora à cette occasion le Seigneur de l’aider à construire un village qui serait un acquis pour l’Islam et viendrait s’ajouter aux autres cités des musulmans. Dieu exauça son souhait. Il lui fut dit que son village devrait être de telle et telle forme, que la terre où il serait édifié aurait telle et telle odeur. Aussi ordonna-t-il à ses élèves de ne jamais omettre à chaque fois qu’ils passent par un pays, sur le chemin du retour, de lui en rapporter une poignée de terre. Or, toutes les fois où de la terre lui était présentée par ses ouailles, le Cheikh ne manquait pas de leur dire : « Non, ce n’est pas celle que je veux », si bien qu’ils se lassèrent de l’exercice et crurent que leur Cheikh avait perdu le sens de la réalité. Ils voulurent le tester et lui apportèrent, un jour, de la terre qu’il avait humée la veille. Lorsqu’elle fut entre ses mains, il leur dit : « Sans doute faites-vous erreur, cette terre, nous l’avons examinée, hier. » Quel ne fut leur étonnement devant la perspicacité du saint homme ! Lorsqu’ils s’en furent vers un autre endroit, ils lui en ramenèrent une autre poignée qu’il huma longuement avant de dire : « C’est bien celle que je voulais. » Je voulais se dit en arabe : chi’et, de là vient sans doute le nom de la ville : Techet.
Ce qui ne saurait être discuté c’est que la vie culturelle et sociale à Techet s’est développée de façon continue, durant des siècles, dans un contexte des plus éclatants qui en a fait une des plus pages du patrimoine artistique produit par le milieu à nul autre pareil du Sahara.
L’isolement dans lequel la ville a vécu pendant des siècles a fait de la diversité culturelle de Techet une sorte de legs patrimonial conservé, telles les momies de l’Egypte pharaonique, pour l’éternité, sorte de synthèse des civilisations où rayonnent les valeurs des peuples les plus anciens de l’Islam, valeurs sculptés dans des formes d’expression où l’on retrouve les apports profonds de la civilisation des régions côtières arabophones du Soudan mais aussi les traces et symboles de cette extraordinaire synthèse qui s’est opérée dans cette région entre les cultures arabe, berbère et soudanaise. C’est dans cette argile que fut modelée cette culture qui vint, depuis les Almoravides, s’insérer et se fondre dans le creuset de l’Islam, lequel fut et demeure l’arbre de vie des hommes de Techet, quelles que soient, par ailleurs, leurs origines.
La ville historique de Techet se trouve aujourd’hui (2006) sur une élévation formant un carré de 500 mètres sur 500, à l’entrée est d’une oasis quasi enfouie dans les sables du désert, du côté de la déclive orientale de la chaîne des Monts Tekent, à l’extrémité de la région d’Adafer. Même si ses habitants ont, tout au long de leur histoire, vécu du commerce, on n’y trouve guère de véritable marché, à l’exception des échanges qui se déroulent sur la place du Marécage (Sebkha).
Pour finir, et pour autant que l’on veuille œuvrer à redonner vie aux festivités folkloriques dans la ville historique de Techet, et en particulier à son festival populaire, en sommeil depuis près d’un siècle, il faudrait réfléchir à des manifestations, telles que :
- L’organisation d’un festival populaire à Techet où seraient reprises les différentes festivités encore vivaces dans la ville, en s’efforçant de susciter une compétition entre les différentes troupes populaires traditionnelles. Mais sans doute faut-il souligner, ici, que chaque célébration populaire spécifique aux populations de Techet met spontanément en présence deux groupes, le premier représentant la partie sud (Massenah) et le second la partie nord (Ach charfa). Le groupe bambara qui intervient en deux occasions distinctes, il est, quant à lui, toujours resté en dehors de l’affrontement traditionnel entre le sud et le nord de la ville.
- Une action en direction de la société civile locale, du secteur de la culture et du tourisme et des organisations internationales afin de définir la meilleure approche pour faire revivre le festival de Mokrane.
- Entreprendre une action sur le terrain dans les autres villes historiques de la Mauritanie afin de redynamiser le folklore de ces lieux de l’histoire.