«EL MAHNIYA »: UN LIEU DE PELERINAGE DANS LA VILLE DE KAIROUAN (TUNISIE)
Issue 8
L’importance de tels rites apparaît d’autant mieux que les travaux artistiques qui nous sont parvenus témoignent de la place éminente que la fertilité a occupée dans l’esprit des hommes. Une telle importance s’explique, sans aucun doute, par la proximité de ce thème avec celui de la fécondité où se manifeste l’instinct de conservation, qui est le propre de l’espèce humaine. En outre, la fertilité est liée à l’idée de baraka (bénédiction). Les berbères, en particulier les ruraux, ont à cet égard donné à cette idée une portée quasi universelle ; ils croyaient que la fertilité constitue une protection autant qu’elle contribue à la fécondité de l’homme, de l’animal et du végétal, apportant à tous confiance et sécurité. C’est cela qui, à l’évidence, explique la pérennité de ce motif, à travers les âges.
L’auteur affirme qu’en dépit de cette expansion de l’Islam en Tunisie qui peut nous amener à penser que des rites liés à la fertilité ne pouvaient qu’avoir disparu, de telles pratiques païennes étant interdites par le système religieux en vigueur dans le pays, on découvre, non sans surprise, s’agissant de la ville de Kairouan qui est considérée comme un de hauts lieux de l’Islam, un site où des rites étroitement liés à la fertilité continuent d’être pratiqués. Une croyance peu fondée a en effet longtemps voulu que personne n’ait jamais vécu sur le site de cette ville avant l’arrivée de l’Islam. Cette idée, de nombreuses sources arabes ont contribué à l’accréditer, faisant valoir que Kairouan a été créée à partir de zéro et que son nom vient d’un mot persan qui signifie la halte des caravanes.
L’étude s’arrête ensuite sur le lieu de pèlerinage appelé « El Mahniya » qui a la forme d’une arcade jouxtant la mosquée Al Ansari ou Al Ansar, sise dans la partie sud-ouest du mur de Kairouan, non loin de Bab el Jedid (la Nouvelle porte). Le caractère unique de ce site et la pérennité du culte qui y est pratiqué ne peut que retenir l’attention, d’autant que l’on est en terre d’Islam, religion dont on peut supposer qu’elle a totalement éliminé ce type de culte.
D’autres vestiges et sites similaires montrent qu’il est temps de réviser les sources littéraires selon lesquelles la ville de Kairouan aurait été fondée par Okba ibn Nafa’a sur un site qui n’a jamais connu présence humaine. Cela est d’autant plus nécessaire que les témoignages relatifs au passé antéislamique de la ville ne cessent aujourd’hui de nous interpeller, ouvrant la voie à des recherches fort prometteuses. En outre, ce site nous invite à revoir notre vision du Maghreb musulman, les Africains islamisés ayant gardé, après leur conversion à l’Islam, une part importante de leurs pratiques culturelles, ce qui a donné lieu à un brassage culturel original sur lequel les nouvelles recherches ont commencé à lever le voile.
Adel Njem (Tunisie)