JEUX ET CHANSONS D’ENFANTS FIGURANT DANS LE PATRIMOINE Fonctions et significations symboliques et réelles

Hédi Msillini

Écrivain. Tunisie

La collecte et l’étude des jeux et chansons d’enfants en Tunisie montrent que ce domaine est partie intégrante de la culture du pays. Nul ne s’étonnera d’ailleurs de ce que les jeux constituent une médiation vers l’assimilation par l’individu de la culture de la société à laquelle il appartient. Par la pratique, l’individu est en effet influencé par cette culture qu’il appréhende puis interagit avec elle dans les moments de loisir, acquérant ainsi les comportements sociaux les plus adaptés aux us et coutumes de la société et aux valeurs qu’elle impose. Les jeux sont également considérés comme une part importante des moyens de divertissement qui contribuent au développement des capacités tant mentales que physiques et existentielles de l’individu. Ils constituent autant de soutiens à la santé mentale et psychique des êtres, compte-tenu des avantages et spécificités qu’ils offrent et qui permettent à l’enfant de trouver la nourriture qui s’accorde le mieux avec ses moyens et ses capacités et qui réponde à ses aspirations et à ses besoins. Ceci est d’autant plus évident que l’on sait quelle joie s’imprime sur les visages des enfants lorsqu’ils s’adonnent à tel ou tel jeu, quelles structures, continuités et spécificités mélodiques communes se dégagent alors de leurs chansons, quelles gestuelles leurs corps développent et quels types de sons sortent alors de leurs bouches. 

Les jeux et chansons d’enfants qui relèvent du patrimoine ont à cet égard contribué à l’édification et à la formation de la personnalité sociale des enfants dans toutes ses dimensions et sous toutes ses formes. Ils ont joué un rôle important d’encadrement de l’héritage culturel et patrimonial lié à la vie quotidienne, sans parler de leur apport au développement de la personnalité individuelle et sociale à tous les niveaux. 

Les jeux ont également diverses fonctions éducatives, sociales et culturelles à travers lesquelles ils transmettent d’une génération à l’autre, de façon naturelle et spontanée, diverses coutumes, traditions et savoir-faire. Ils contribuent ainsi à dessiner divers contours d’une culture populaire riche de significations humaines et sociales qui viennent confirmer l’importance de l’appartenance à une terre et à une nation. 

Pour ce qui est des jeux fondés sur des chansons, ils représentent l’image authentique de la culture populaire telle qu’elle se manifeste chez une génération déterminée. Les textes qui nous sont parvenus à travers les livres ou la parole des narrateurs sont en eux-mêmes autant de reflets de la culture des fillettes et des garçons de telle nation, au vu du témoignage qu’ils nous apportent sur les épreuves vécues par les générations, à des époques fort éloignées les unes des autres. On y voit les souffrances qu’endure la femme ou la jeune fille dans telle société, les espérances qu’attache une mère au futur de ses enfants lorsqu’elle leur chante une comptine, mais aussi les peines et les difficultés qu’affrontent les gens dans la quête de leur pain quotidien, etc. On voit ainsi à quel point le jeu est indissociable dans sa forme et dans son contenu de la réalité, on voit aussi qu’activités réelles et activités ludiques n’entretiennent pas des rapports abstraits mais des rapports d’interaction dialectique entre deux parties, une interaction qui génère la dynamique du réel. 

En fait, cette vision du jeu basé sur le chant n’était perçue de façon aussi claire par de nombreux chercheurs qui s’étaient contentés d’appréhender le patrimoine selon une démarche qui le réduit à une forme guère éloignée d’une simple enveloppe extérieure. Et c’est pourquoi ils ne furent pas capables de saisir le contenu véritable de cet héritage qui offre pourtant à ceux qui y puisent de grands espaces de liberté d’expression, que ce soit par la parole, le mouvement ou le chant, qui leur permettent de s’affranchir des pressions qu’impose le réel.