LES CHANTS DU SAGE CHARQAH SUR LE RECITATIF DU DIEU CHARQAN Les rapports entre l’héritage agricole oral au Yémen et la poésie antéislamique
Issue 48
Ahmed al Tars al Aramy
Écrivain. Yémen
La mémoire orale constitue l’un des principaux médiateurs de la connaissance. C’est sur elle que les sociétés humaines se sont fondées pour conserver, échanger, transmettre leurs savoirs, leurs cultures et leur expertise. Avant l’invention de l’écriture, les formes littéraires les plus anciennes avaient, dans toutes les cultures, un caractère oral. Tel fut à cet égard le cas pour les civilisations du sud de la Presqu’île arabique dont les communautés s’étaient, à l’image de toutes les anciennes sociétés orientales, appuyées sur la mémoire orale, même si l’écriture de l’ancien Yémen était apparue dix siècles avant J.C., avant de laisser place, quatre siècles plus tard, à l’écriture arabe telle que nous la connaissons aujourd’hui, en même temps que la langue arabe du nord, celle du centre de la presqu’île arabique, appelée fos’hâ (arabe littéral), supplantait l’arabe du sud.
La mémoire orale n’en est pas moins restée un médium culturel essentiel pour des générations successives qui ont connu, tant sur le plan linguistique que culturel, toute une série de mutations qui ne les ont, toutefois, pas empêchées de demeurer profondément attachées à leur passé, comme on le constate au niveau du dialectal mais aussi à travers les diverses manifestations folkloriques ou expressions de l’héritage immatériel. Le lien entre cet héritage et la culture de l’ancien Yémen est en effet resté vivace au long des siècles et n’a presque pas souffert de l’oubli. Il existe même toute une littérature qui remonte à cet ancien Yémen et dont la mémoire est restée de façon ou d’autre vivante dans la culture orale des populations rurales.
La présente étude traite de cette littérature à travers un échantillon représentatif d’un vaste ensemble de manifestations que l’auteur a examinées dans un ouvrage en cours dans lequel il explore les sources, les présupposés, les mécanismes et les multiples aspects de cette matière.
Pour ce qui est de l’échantillon choisi dans le cadre de cette étude, l’auteur a fondé son approche sur cette question axiale : peut-on parler de l’existence d’«épopées/récitatifs littéraires-religieux-agraires » provenant de l’ancien Yémen qui seraient restés vivaces et « fonctionnels » dans la culture orale sous la forme de dictons, proverbes et chants de travail ? Peut-on, d’un autre côté, dire qu’il a existé dans l’ancien Yémen « des divinités légendaires agricoles et/ou semi-divinités ou prophètes légendaires agricoles » que la culture populaire orale aurait perpétués à travers des figures d’agriculteurs devenues autant d’incarnations de la sagesse ?