NOUS ET LE TEMPS/LA DURÉE À TRAVERS NOS PROVERBES Une approche anthropologique des proverbes populaires algériens
Issue 47
Dr. Abdallah ben Maamer
Algérie
La durée est l’expérience la plus intime. L’homme la porte en soi tel un rythme intérieur, il se plie à son flux, et c’est dans sa sphère que s’inscrit son action au service de la civilisation. La durée est liée à l’essence de la vie des hommes et à l’existence humaine.
Depuis son apparition sur terre, l’homme en a ressenti l’importance dans sa vie, à travers de multiples expériences et observations, comme l’alternance du jour et de la nuit, la succession des quatre saisons, la connaissance de la vie et de la mort, celle de l’enfance, de la jeunesse et de la vieillesse et autres perceptions de cette durée. L’expérience originelle de la durée s’est imprégnée de diverses représentations et croyances qui se sont formées au long de l’évolution de la pensée humaine. C’est pourquoi le mode sur lequel la durée est perçue et représentée diffère d’une culture et d’une société à l’autre, et varie selon l’évolution scientifique et technique de chaque groupe humain.
On peut constater que c’est la vision circulaire qui prédomine dans les sociétés traditionnelles où c’est le passé qui prévaut, alors que les sociétés industrielles avancées se représentent le temps/la durée selon une ligne constamment tournée vers l’avenir. En tant qu’Arabes, nous avons, depuis les âges les plus reculés, perçu le temps comme cette force destructrice, impitoyable et tyrannique que l’on appelle le destin. Mais quelle est la représentation qui prévaut aujourd’hui chez nous ? Comment réagissons-nous au temps ? De quelle façon en organisons-nous la gestion ? L’étude tente de répondre à ces questions selon une méthodologie fondée sur l’analyse des proverbes populaires, eu égard à ce que ce genre littéraire a de spécifique – concision, éloquence, connotations patrimoniales… –, outre qu’il est l’expression fidèle d’une société avec ses vices et ses vertus.
Le proverbe est présent dans toutes les sociétés, il joue un rôle éducationnel et contribue à orienter le comportement des individus. L’auteur a choisi pour son étude un échantillon de proverbes algériens qu’il a placés à côté de proverbes similaires provenant d’autres sociétés arabes, en posant qu’un tel échantillonnage est de nature à lui permettre de généraliser les jugements qu’il a dégagés sur l’ensemble des sociétés arabes, compte-tenu de l’équivalence entre les niveaux scientifiques, économiques et technologiques de ces sociétés.
L’analyse développée dans cette recherche se fonde sur quelques études sociologiques et anthropologiques portant sur la question du temps/durée dans la société algérienne ou dans d’autres sociétés arabes. L’auteur a opté pour une approche comparative fin de comprendre les fondements rationnels de la perception du temps par les sociétés arabes. Il a tenté de répondre à cette question essentielle : avons-nous développé cette culture du temps qui est un produit de la société occidentale et de sa civilisation industrielle et technologique ?
Pour répondre, il a analysé les proverbes, d’abord à travers la dimension cognitive de la perception du temps et la façon dont l’Algérien se représente la durée, ensuite à travers la dimension axiologique des proverbes valorisant le temps et le rapport entre durée et travail, puis à travers l’attitude de l’être algérien face à l’avenir, enfin à travers les proverbes consacrant une vision donnée des mois et des saisons. Il aboutit à la conclusion que le vécu de la société algérienne est fort éloigné de la culture du temps.