Revue Spécialiséé Trimestrielle

LES ORNEMENTS LINGUISTIQUES DANS LES CONTES DE SINDIBAR ÉCRITS EN ARABE JUDAÏQUE Étude sur des textes maghrébins

Issue 64
LES ORNEMENTS LINGUISTIQUES DANS LES CONTES DE SINDIBAR ÉCRITS EN ARABE JUDAÏQUE Étude sur des textes maghrébins

Dr Farag Qadri Al Fakhrani

Égypte

On peut citer parmi ceux qui ont repris des récits-cadre tels que Les Mille et une nuits ou les contes de Sindibar, les conteurs juifs, et en particulier ceux qui vécurent en terre d’Islam, à la fin du Moyen-âge et au cours des temps modernes. Ces conteurs ont fait coexister deux cultures, le judaïsme « en filigrane » et l’arabe de façon visible. Ils ont ainsi conçu des formes de littérature populaire dont l’étude a retenu trois exemples de textes écrits en arabe judaïque que l’on trouve dans Sifr (Le livre de) Sha’chou’îm, (Livourne 1868) ; Les Histoires  (Hikayat) des sept vizirs (Tunis 1913) et Ma’assieyh (les aventures de ?) Sindibar  (Tunis 1948). Ces trois versions constituent le matériau dans lequel l’auteur a puisé les expressions qui ont nourri les textes de cette littérature populaire et dont ils constituent l’ornement linguistique sur le mode de la répétition. 

Si la première version des Histoires de Sindibar a paru à Constantinople, en 1561, les manuscrits remontent à des époques bien plus éloignés. Nathalie Weinstein (נטלי ווינשטיי ) souligne en effet que le manuscrit le plus ancien est en syriaque et nous ramène au Xe siècle de notre ère. Yasif ( עלי יסיף)  estime pour sa part que le texte d’origine est en sanscrit, qu’il a été traduit en persan puis en hébreu. Quant à Al Ghanemi, il pense que la source de ce récit est un texte en araméen élaboré dans un contexte linguistique nourri d’apports indiens et grecs. Cet auteur s’appuie d’ailleurs sur une analyse narrative mettant l’accent sur l’idée d’ascétisme, d’abstention de tout acte susceptible de nuire à l’animal et d’endurance face aux souffrances corporelles, endurance qui, du reste, permet de s’interdire toute atteinte à l’intégrité de l’animal. Farhat a, de son côté, soutenu avec quelque insistance la thèse que l’une des versions de ce livre, celle d’Herman – Histoire du Roi des Perses, de son fils et de la courtisane et Histoire des sept vizirs – aurait des origines arabes. La même chercheuse fait remonter ces deux récits au XIIe siècle, en affirmant que le volume était alors en 56 pages. 

Il est généralement admis que l’intitulé Histoire de Sindibar (משלי סנדבר) est l’un des titres donnés aux copies en hébreu de l’ensemble des récits et contes populaires produits dans des pays orientaux avant d’être transférés en Europe où ils ont été traduits puis diffusés à travers le monde. Mais il existe une autre version intitulée Les Histoires de Sindbad (משלי סנדבד) dont on sait qu’elle avait paru dans le format de ces ouvrages pour grand public (chapbook) qui ont fait leur apparition au XVIe siècle et étaient commercialisés dans des locaux conçus pour ce genre de publication. Ce recueil de contes a connu une large diffusion parmi les couches populaires en Europe et de nombreuses versions ont succédé aux premières parutions. Les récits ont été retravaillés sous la forme de versions condensées ou, au contraire, allongées, certaines étant en prose, d’autres en vers ou en prose assonancée. On peut dire que ce recueil était, pour une large part, représentatif par sa forme et son contenu de cette littérature non officielle qui était répandue dans de nombreux secteurs des communautés juives vivant à cette époque dans les pays arabes.

L’auteur estime, en conclusion, que, même si les histoires de Sindibar nées dans des contextes arabes et islamiques ne sont pas d’origine arabe, elles ont été imprégnées de certaines particularités des sociétés dans lesquelles elles ont vu le jour, mais qu’elles l’ont été de façon si ténue qu’il est fort difficile de percevoir cette empreinte. On peut comprendre que l’auteur ait préféré parler d’ornements, les trois versions étudiées étant toutes restées attachées au contexte global de ces récits et fidèles aux principales idées qui semblaient dominer dans le ou les texte(s) original(aux). En somme, le collier que formait l’ensemble de ces récits ne s’est pas défait, et il n’y manque aucune des pièces d’origine. 

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