Revue Spécialiséé Trimestrielle

LES QOUDOUD D’ALEP en tant que point de contact entre l’art arabe du chant et le goût arabe moderne

Issue 62
LES QOUDOUD D’ALEP en tant que point de contact entre l’art arabe du chant et le goût arabe moderne

Ilyes Bouden. Tunisie

Docteur en musique et musicologie de l’Institut Supérieur de Musique de Tunis

Le mode musical appelé qoudoud fait partie des modèles qui ont joué un rôle important dans le domaine du chant au cours du passage du registre musical et chanté du Moyen-âge arabe au registre moderne. Les études de musicologie historique montrent que l’école du Cham (la Grande Syrie) s’est attelée depuis le début du XXe siècle, aux côtés de l’école égyptienne, à revivifier le patrimoine musical et chanté traditionnel, ce qui a permis l’éclosion d’une grande partie du répertoire arabe dans ce domaine, à travers le renouvellement de la plupart des modes musicaux traditionnels ou innovants et la création de formes inédites dans certains aspects de leur construction mélodique. Mais, par-delà leur forme originale, ces modes musicaux sont restés fidèles à certaines constantes que l’on trouve dans les formes classiques, en particulier au niveau des chansons folkloriques qui ont adopté la structure des adouar (pluriel de daour : construction strophique). 

Le   rôle important joué par les qoudoud lors de la transition entre deux époques de la musique et de la chanson arabe appelle le chercheur à se poser la question de la nature de cette forme et des conditions dans lesquelles elle a émergé à une période de l’histoire marquée par un recul de la culture, voire, plus généralement, de la citadinité dans le monde arabe. Cette forme de musique chantée représente-t-elle une exception dans le contexte de la création artistique arabe ? Si oui, qu’est-ce qui permet de qualifier d’exception, tant sur le plan de la forme que du contenu, ce mode musical et chanté ?

Pour répondre à ces questions, l’auteur commence par une introduction théorique fondée sur un aperçu historique sur la naissance et l’origine des qoudoud, en mettant l’accent sur les qoudoud d’Alep et sur leur conception mélodique. Il passe ensuite à l’étude d’une des œuvres de l’artiste syrien Sabah Fakhri ‘’Taht hadejha wa ta’lejna’’ (Sous sa litière guérison nous avons trouvé), enquêtant sur les origines et la structure vocale et musicale de cette chanson et essayant de mettre en lumière les traits distinctifs de la performance du chanteur et les avancées techniques qu’il a réalisées à travers sa prestation. 

Voilà longtemps que la ville d’Alep est devenue célèbre par deux types de chanson : les muwachahat d’Andalousie dans leur version aleppine et les qoudoud d’Alep, les seconds étant une adaptation simplifiée des premiers.

Ces qoudoud s’inscrivent en réalité à l’intérieur de formules musicales très aniciennes. Elles se sont fondées sur le réemploi d’anciennes mélodies autour de textes nouveaux. À cet égard, l’auteur met l’accent, de façon très succincte, sur les rapports entre qoudoud aleppins et qoudoud soufis.

Les qoudoud d’Alep représentent un vaste répertoire de mélodies simples et joyeuses produites par les compositeurs de cette ville syrienne qui connut, depuis des époques fort éloignées du passé et jusqu’à la fin du XIXe siècle, une remarquable dynamique commerciale et économique liée à son emplacement stratégique sur la route des caravanes qui vont de l’Extrême-Orient jusqu’aux limites occidentales de l’Europe et de l’extrême sud de la Péninsule arabique à l’extrémité nord du monde islamique, en passant par l’Égypte et le Maghreb arabe, dynamique qui a créé un climat d’aisance matérielle propice au développement d’un marché prospère pour la musique et la chanson. 

Les qoudoud d’Alep représentent au sein du patrimoine chanté syrien un mode musical qui est devenu la marque de cette ville. Les qoudoud consistent en de vieilles chansons populaires que les habitants d’Alep avaient coutume d’entonner lors de leurs veillées, cérémonies ou voyages. Ces formes musicales ont été transmises génération en génération sans que nul n’ait gardé en mémoire les noms de leurs auteurs et de leurs compositeurs. La renommée de cet art a fini par atteindre les horizons les plus lointains, et des maîtres comme Sabah Fakhri, Mohamed Khairi, Sabri al Mudallal, Mustapha Maher et bien d’autres les ont intégrées à leur répertoire. 

L’origine des qoudoud nous fait remonter aux chants religieux qui animaient les soirées et les séances de dhikr (psalmodies et récitations à la gloire de Dieu). Des artistes ont ensuite remplacé le contenu religieux des textes par un discours amoureux tout en conservant la mélodie dans sa forme originelle. Les nouvelles chansons ainsi composées se sont propagées dans le contexte des fêtes et des cérémonies de mariage. Le mot qoudoud qui leur a été donné est le pluriel de qad qui signifie ‘’à la mesure de’’ car la nouvelle mélodie est une réduplication de l’ancienne, les mots étant conçus selon la même métrique que les chants anciens, le changement n’ayant affecté que le seul contenu.

Toute Issues