LA TBOURIDA MAROCAINE ENTRE SPORT ET PATRIMOINE

Dr Radouane Aït Aazi 

Chercheur en sociologie. Maroc                 

Dr Nabil Takhlouicht

Professeur en sociologie à l’Institut Royal de formation des cadres de la jeunesse et des sports. Maroc

Cette étude a pour but de jeter la lumière sur l’un des sports populaires les plus profondément enracinés dans la société et la culture marocaines. Ce sport, appelé at-tbourida, est l’un de ceux qui ont réussi à assurer leur pérennité et à s’adapter aux différentes mutations que la société marocaine a connues au cours de sa longue histoire et qui ont marqué les multiples aspects de sa vie politique, culturelle et sociale. Le passage des institutions traditionnelles aux institutions modernes, c’est-à-dire de la tribu aux collectivités civiles, a constitué à cet égard l’une des mutations les plus visibles, et la tbourida, qui relève du folklore populaire et n’a cessé au long des âges d’être une arène où rivalisent et se mélangent les tribus dans le cadre des cérémonies qu’elles organisent, a connu, elle aussi, une mutation et réussi à se faire une place parmi les sports modernes. Elle a ainsi évolué vers une forme d’institutionnalisation, grâce à l’actualisation et à la codification de ses occurrences, devenant un véritable rite social et un patrimoine socioculturel immatériel. Il incombe aujourd’hui au public de prendre conscience de l’importance de cette évolution, eu égard à sa portée humaine, culturelle et économique, voire à la dimension que cette pratique sportive a acquise en tant qu’elle constitue une des composantes de l’identité, tant locale que nationale. 

L’étude présente également un tableau descriptif de cette pratique à travers une revue de ses évolutions au long de l’histoire, en se fondant sur une approche socio-anthropologique mettant en évidence des théories et des concepts associant la recherche documentaire à l’enquête sur le terrain. Le but de ce travail est d’aboutir à des conclusions permettant de comprendre et d’expliquer les facteurs qui ont permis de promouvoir cette pratique sportive et d’obtenir qu’elle soit classée, en 2021, par l’UNESCO patrimoine culturel immatériel marocain. 

Toute société vit de la vie de son héritage, et tout retour au patrimoine local est un retour à l’identité et à la mémoire collective autant qu’une contribution au renforcement du sentiment d’appartenance à une patrie, à des traditions ou à un mode de vie. Investir dans le patrimoine, matériel aussi bien qu’immatériel, constitue dès lors, sans aucun doute, le point de départ de toute action où vont se réaliser la vision, les valeurs et les traditions de la société, conformément à cette claire référence sur laquelle se construit l’identité marocaine à travers la diversité et la multiplicité de ses cultures. Le sport contribue en effet à faire connaître la culture dans la mesure où il est pratiqué sous des formes et selon des démarches diverses à l’intérieur de multiples groupes sociaux. 

La tbourida est aussi un sport susceptible de trouver sa place au sein des différentes cultures et sociétés humaines, à travers le monde, et de se développer en se diversifiant de manière essentielle selon la culture de chaque société et en rapport avec les différentes catégories et classes sociales. 

Compte-tenu de l’importance particulière qu’elle revêt chez les Marocains, en tant qu’elle constitue un symbole historique et patrimonial transmis de génération en génération, la tbourida doit bénéficier de la conjugaison des efforts des institutions étatiques, de la société civile et des autres acteurs sociaux afin qu’elle soit préservée en tant que patrimoine, qu’elle puisse occuper la place de choix qu’elle mérite et devienne un véritable levier pour le développement. Mais un tel objectif ne pourra être atteint qu’en encourageant les citoyens, et en particulier les femmes, à pratiquer ce sport, en œuvrant à le faire connaître à l’étranger et en plaidant sa cause pour en faire un sport à l’échelle planétaire. 

 Pour assurer le développement et l’amélioration de la pratique de ce sport (at-tbourida) – en tant qu’il est un symbole de l’identité marocaine propre à consolider chez les individus le sentiment d’appartenance, à enraciner en chacun les valeurs de citoyenneté et à contribuer à la formation de la personnalité de l’individu et à renforcer son rapport à la terre ancestrale qui est la sienne –, pour en garantir en même temps le perpétuel renouvellement et la continuelle transmission entre les générations, il est nécessaire d’intensifier les recherches scientifiques et les études universitaires par l’organisation de colloques et séminaires sur la tbourida et les moyens de la conserver et d’en étendre la pratique. Il convient en outre de conférer à ce sport un statut conforme à son importance, non seulement en mettant l’accent sur son caractère festif et son importance en tant que spectacle mais en accordant toute l’importance à la diffusion de tous les produits, équipements et métiers qui y sont liés (selles, fusils d’apparat, tenues, poignards, etc.) et en œuvrant à en relancer la commercialisation dans une optique économique et touristique solidaire.