Revue Spécialiséé Trimestrielle

LES UTILISATIONS DE L’OUTIL EN CUIVRE APPELÉ AL HUN DANS LES CROYANCES ET COUTUMES POPULAIRES SOUDANAISES

Issue 56
LES UTILISATIONS DE L’OUTIL EN CUIVRE APPELÉ AL HUN DANS LES CROYANCES ET COUTUMES POPULAIRES SOUDANAISES

Dr Salwa Abdemaguid Ahmed Al Mechli

Soudan

L’étude porte sur l’outil appelé al hun qui est un vieil instrument manuel importé d’Égypte que les habitants du pas du Nil utilisent pour le concassage ou comme que mortier à piler. Il sert également dans les pays du Golfe à moudre des épices comme le safran.

L’auteur s’est appuyée dans la collecte des données relatives à cet outil sur la méthode historique, descriptive et analytique et sur le collationnement des récits oraux recueillis sur le terrain en s’appuyant sur les techniques de l’entretien, de l’observation ou de la conjugaison des deux approches. L’analyse historique a permis de remonter aux origines culturelles de l’utilisation d’al hun dans les coutumes et les croyances.

Cet outil de forme ronde a une largeur d’environ dix centimètres et une épaisseur de moins d’un centimètre. Il est fabriqué en cuivre, un long bras vertical y est introduit qui permet de l’utiliser pour battre ou piler, le poids du cuivre est d’un kilogramme et plus.  

Al hun entre dans la catégorie de la culture matérielle. Il sert de diverses façons à piler les épices de la cuisine soudanaise, comme la coriandre, la cannelle et bien d’autres. Il permet également de moudre des plantes sèches comme le girofle ou certaines matières comme le musc qui entrent dans la composition des parfums qu’affectionnent les femmes soudanaises. Il sert en outre à polir la pierre qui enferme l’or brut afin de faciliter l’extraction du précieux métal après de multiples opérations de lavage, de préparation et de nettoyage. Or, malgré l’usage qui en est fait pour ces diverses actions, cet objet est devenu de plus en rare en raison du coût élevé du cuivre. D’autres instruments ont pris sa place dans les activités manuelles de mouture comme le fendek en bois ou en fer. Il continue néanmoins à servir dans plusieurs domaines, mais il est certain qu’il va finir un jour par être rangé parmi les curiosités culturelles que l’on expose aux touristes.

Il convient néanmoins de souligner que la médecine populaire se sert de cet outil pour soigner les maux de dos sur la base de techniques inspirées des saignées islamiques modernes, telles qu’elles furent développées par les guérisseurs. En tant que tel, il est classé comme objet folklorique dans la catégorie des croyances et savoirs populaires. Mais, selon la classification de Richard Dorson, il entre dans celle des us et coutumes populaires. Les composantes du patrimoine populaire sont en effet, fort souvent, interdépendantes et recouvrent plus d’un champ de savoir. 

Les douleurs de dos sont traitées selon un protocole où le guérisseur se sert d’une pièce de monnaie telle que l’actuelle guinée soudanaise ou toute autre pièce métallique suffisamment lourde pour rester fixée sur sa base et ne pas glisser au cours du traitement sur le corps du patient au risque de le brûler. Cette pièce est recouverte d’un tissu en coton ; celui-ci est roulé de façon à ce que ses deux bouts se dressent vers le haut comme deux bougies ; ils sont alors imbibés d’huile, le coton ayant pour caractéristiques, d’une part, de ne pas se froisser et, d’autre part, d’absorber cette huile qui contribue à la combustion et à l’entretien de la flamme. La pièce (de monnaie ou autre) enveloppée de tissu est alors posée sur l’emplacement de la douleur, les bouts sont allumés au moyen d’une allumette, d’un briquet ou, parfois, d’un morceau de papier enflammé, le tout est alors plaqué au corps du patient au moyen d’un hun en cuivre. 

Dans le cas de la femme qui souhaite enfanter, une guérisseuse dont l’art est transmis de mère en fille applique al hun au bas du dos de la femme dans la zone du coccyx, ayant au préalable diagnostiqué que le dos de cette femme est fatîh (littéralement : ouvert), ce qui signifie qu’elle est incapable de procréer ainsi qu’en témoignent, entre autres, les douleurs intenses que cette patiente ressent au bas du dos ? C’est là une tradition curative fort connue et encore pratiquée de nos jours qui consiste à appliquer tôt le matin, trois jours à la suite, al hun sur cette partie du dos de la femme, qui doit être à jeun.

Battre al hun selon le rite appelé al harjiletk entre dans la catégorie des croyances et coutumes populaires mais également dans celle des arts de la représentation, car ce rite se développe sous la forme d’un drame où les rôles sont distribués entre la mère en couches, le nouveau-né et les invités. Divers rituels accompagnent cette représentation, comme le port de bougies, les rondes effectuées à travers la maison et les textes scandés lors de la célébration du Septième jour, le tout sur fond de musique, tandis que la mère et l’enfant sont exposés, revêtus d’habits de cérémonie. 

Le rite consistant à frapper al hune pour le faire retentir se déroule après le coucher du soleil. Or, nous savons que c’est la nuit que les bougies sont traditionnellement allumées dans les églises et que cette coutume, liée au départ au christianisme avec toute la spiritualité qui en émane, a influé sur diverses composantes de la culture soudanaise, en particulier dans les deux domaines des croyances et coutumes populaires. La tradition chrétienne a en effet mis l’accent sur l’impact affectif des cloches qui sonnent, et la ferveur des chrétiens ne peut se comprendre si l’on sépare leur foi de ce chant des carillons.    

Le traitement médical au moyen d’al hune relevait dans le passé des actions caritatives. Le patient payait ce qu’il pouvait pour le traitement reçu. Ce paiement s’appelait, selon l’expression populaire, attiyat mezaïen – littéralement : le don à celui qui embellit –, le mezaïen (ou coiffeur) empochait ce qu’on lui donnait sans en vérifier le montant. Mais, au jour d’aujourd’hui, beaucoup de guérisseurs fixent, à l’instar des médecins, les honoraires de la consultation, laquelle est perçue d’avance car ce travail est devenu leur gagne-pain. 

Si les multiples fonctions d’al hun se trouvent aujourd’hui classées dans différents domaines du folklore, il peut arriver que certaines se chevauchent et couvrent plus d’un domaine.

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