Revue Spécialiséé Trimestrielle

QUESTIONS DE METHODE

Issue 4
QUESTIONS DE METHODE

L ’auteur distingue, dans le cadre de l’histoire arabo-musulmane, deux approches, en ce qui concerne les questions musicales: une approche en rapport avec les acteurs intervenant dans ce domaine; une autre de type purement théorique, liée aux sciences mathématiques, influencées par l’école grecque, la musique ayant longtemps été considérée comme partie intégrante de cette science. Réexaminer cette précieuse matière scientifique qui reflète les thèmes et conceptions qui furent, au long des siècles, ceux de l’écriture musicale, peut être d’un grand profit pour la recherche moderne. Cette approche nous permet, en effet, de mettre tout à la fois en évidence la continuité de certaines données propres à l’écriture musicale et de saisir l’impact des méthodes historiques anciennes sur les formes modernes d’imitation, au niveau de cette écriture. Elle est, dans le même temps révélatrice du recours ininterrompu à la matière ancienne, en vue de l’imposer, d’une façon souvent autoritaire, à une réalité qui a évolué, sur bien des plans. Les questions relatives au patrimoine populaire et les techniques de collecte sur le terrain, de classement et d’archivage, dans cette région du monde, ont suscité l’intérêt des chercheurs, depuis plus de trois décennies.

L’auteur s’arrête, ici, sur les concepts à l’oeuvre dans la méthode d’étude du patrimoine musical de la région, soulignant l’importance pour toute recherche du travail sur le terrain. Chacun sait, en effet, que le patrimoine ne se résume pas à l’héritage historique consigné, mais s’étend également aux pratiques orales quotidiennes qui n’ont pas encore été décrites ou étudiées. Le chercheur doit naturellement avoir pris connaissance de tout ce qui a été écrit sur la question, mais l’étude effective d’une réalité vécue doit, d’abord et nécessairement, se fonder sur des enquêtes menées sur le terrain. Les éléments dégagés par l’analyse doivent ensuite être transformés en données scientifiques, soumises aux mécanismes de la recherche méthodique qui met en lumière le détail du vécu social.

L’auteur souligne que les grandes médiathèques dans le monde conservent précieusement la copie originale des performances enregistrées sur le terrain et n’en permettent l’utilisation qu’en vue de l’enregistrement d’une deuxième copie destinée à la consultation et à la recherche. Ces deux enregistrements exigent un entretien permanent et sont reproduits sur les nouveaux supports fournis par les technologies modernes. Ce travail d’entretien et de reproduction est l’une des tâches fondamentales des grands centres audiovisuels, mais c’est une tâche coûteuse – et nécessitant une grande persévérance.

Il existe, note l’auteur, un débat, celui de la culture orale et de la culture écrite qui débouche, à son tour, sur un deuxième débat entre tradition et modernité. Il faut bien reconnaître que les nouveaux intellectuels, dans le monde arabe, regardent, depuis l’époque des indépendances, le patrimoine culturel et, en fait, l’ensemble de l’héritage de leurs pays, avec une certaine condescendance qu’ils mettent sur le compte d’un sousdéveloppement des sociétés arabes qu’ils auraient reçu la mission de combattre. Ils regardent, en revanche, avec une grande admiration toutes les formes de modernité et, de façon plus générale, la culture occidentale, en ses diverses manifestations.

L’auteur affirme, d’autre part, que la culture populaire et traditionnelle est une culture composite fédérant plus d’un domaine et plus d’un art et se caractérisant par son ouverture sur les différents secteurs de la création, outre son inscription dans un héritage historique porteur de valeurs et de symboles. Elle pose cette question : l’héritage culturel se borne-t-il, dans le domaine de la musique, à ses manifestations populaires ? Est-il possible, en matière de musique, de tracer des frontières claires entre les deux cultures populaire et urbaine, ou entre les deux cultures populaire et artistique, en dépit de l’existence de traits spécifiques à chacune de ces deux expressions ? En d’autres termes, ces orientations : 1 - ne partent pas d’une observation de la pratique musicale, mais de la théorie et de l’observation du degré de convergence entre elle et la réalité concrète ; 2 - vont à l’encontre de la méthode dite de « la musique des peuples » qui part de la réalité vécue pour en dégager une théorie, sans tenir compte de la multiplicité vivante qui existe dans la région arabe, et, sur la base de cette théorie, appeler à unifier les structures rythmiques et les formes d’exécution ; le modèle dit de la musique arabe commence à toucher les créations musicales, dans les différentes parties du monde arabe, les enfermant dans un cadre contraignant et les éloignant de la musique populaire, en dépit des canaux qui existent entre ces deux types de musique ; 3 – posent le problème de l’imitation de la terminologie occidentale et de la tentation d’en reproduire les modèles. L’étude affirme, dans sa conclusion, que la modernité n’a de sens que si les sociétés disposent de traditions anciennes et de compétences veillant à les sauvegarder, à les étudier et à les transmettre aux nouvelles générations. C’est alors seulement que le mot « modernité » a un sens et une valeur.

Schéhérazade Qassim Hassan

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