Revue Spécialiséé Trimestrielle

LES RITES DE LA «MEDECINE» POPULAIRE AU MAR0C

Issue 34
LES RITES DE LA «MEDECINE» POPULAIRE AU MAR0C

Dr Idris Maqboub

La médication populaire constitue au Maroc le phénomène social par excellence, un phénomène qui intrigue autant ceux qui s’y intéressent ou y adhèrent profondément que ceux qui le tiennent en suspicion. Chose étonnante, ce type de « médecine »  ne cesse de s’étendre et de se développer dans des proportions effarantes. En plus, ceux qui recourent à  cette médication et croient en ses vertus n’appartiennent pas tous à la catégorie des gens simples ni aux couches les plus pauvres mais viennent fort souvent des classes moyennes voire aisées. De même, ce ne sont pas les populations les moins éduquées qui sont seules concernées, beaucoup de ceux qui y viennent ont un niveau supérieur d’éduction et de culture.

L’étude de la guérison traditionnelle pose, nul doute, des problèmes méthodologiques complexes en rapport avec l’angle d’attaque le plus approprié. De l’approche ethnologique à l’approche anthropologique, en passant par l’approche sociologique, le chercheur a du mal à choisir une méthode sans remettre en question l’efficience des autres, en termes de compréhension scientifique de cette réalité socioculturelle.

Si toute recherche sur la culture populaire se trouve confrontée à des problèmes complexes, en raison de la complexité même de tout ce qui relève de l’expression populaire, ce type de « médecine » pourrait apparaître au premier abord, en tant que manifestation de la culture populaire, comme une réalité simple mais difficile à cerner, d’autant plus que cette pratique est répandue dans tous les milieux sociaux et ne se limite pas à telle ou telle catégorie de gens, ainsi que l’affirmaient certaines thèses d’inspiration coloniale qui associaient la culture populaire au sous-développement et à l’arriération.

L’expansion des formes de médication populaire au sein de la société marocaine est – paradoxalement – dû pour une large part à l’action menée, à la fin du Protectorat, aussi bien par les faqihs et les théologiens que par les scientifiques et les tenants de la laïcité pour combattre des pratiques relevant de la sorcellerie qui sont diamétralement opposées aux enseignements des vieilles écoles coraniques. Or, malgré le rejet par les savants de la foi de la pratique consistant à tracer à l’encre des versets du Coran sur les parties du corps affectées par la maladie – pratique que ces savants considèrent comme déviante et hérétique – les avis pourtant fortement argumentés de ces savants n’ont guère rencontré d’écho auprès des classes inférieures de la société dont viennent en majorité les clients de ces « praticiens ». On ne peut que s’étonner devant l’extension de ce phénomène qui jette le discrédit sur la théorie de l’orientaliste allemand Meyerhof qui affirme que la médication par les plantes est en voie de disparition. Il suffit à cet égard de se rendre à Marrakech pour voir se déployer dans tout son éclat ce type de médication populaire sur la Place de Jama’a Lefna.

Quant à la valeur sociale de l’exercice de la guérison populaire celle-ci varie, d’un côté, en fonction de la confiance que lui accordent les différentes composantes de la société marocaine, et d’un autre côté, de la légitimité juridique à l’intérieur de laquelle ce type de médication est exercé. Mais, si tous les milieux sociaux sans distinction reconnaissent la valeur de cette « médecine » (avec le plus souvent une plus grande adhésion du sexe féminin), cela témoigne d’une certaine perte de confiance en la médecine moderne qui a fait la preuve de son impuissance à apporter des réponses face à certaines maladies tenaces ou incurables.

Mais l’expansion du phénomène a obligé le législateur à mettre en place des  cadres pour structurer ce secteur traditionnel. Et c’est sur cette base que le Ministère marocain de la Santé a décidé de promulguer des textes de loi pour organiser la médecine populaire et lutter contre la médication anarchique, tout en lançant une campagne de sensibilisation sur les dangers d’une telle pratique, sachant que le Centre national de lutte contre les intoxications et de vigilance sanitaire a enregistré, en 2013, sept cas de décès et une trentaine de cas d’intoxication en rapport avec la consommation anarchique des préparation à base de plantes.

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