Revue Spécialiséé Trimestrielle

LE RÔLE DE L’HERITAGE POPULAIRE DANS LA MISE EN VALEUR DES SPECIFICITES SOCIALES ET CULTURELLES L’EXEMPLE DE LA VILLE DE LAGHOUAT

Issue 29
LE RÔLE DE L’HERITAGE POPULAIRE DANS LA MISE EN VALEUR DES SPECIFICITES SOCIALES ET CULTURELLES L’EXEMPLE DE LA VILLE DE LAGHOUAT

Le milieu naturel a largement contribué, dans nos sociétés et plus précisément dans les régions sahariennes, à l’essor de l’imagination et à l’enracinement des croyances qui étaient partie d’une culture populaire à laquelle la région doit sa réputation. Cette culture, qui constitue quasiment une spécificité des sociétés maghrébines, se caractérise par la prévalence de l’oralité  sur le patrimoine écrit. Expression de la réalité socioéconomique de la société, elle témoigne, par ailleurs, du lien organique qui existe entre bédouinité et urbanité : « le passage de la suprématie de l’oralité à la suprématie de la communication écrite est inséparable du passage de la structure tribale à la structure étatique et de la société sahraouie à la société citadine. »

 

La transmission des contes chez les  bédouins nomades autant que l’imaginaire à partir duquel s’organise le tissu narratif des récits et se développent les personnages mythiques sont en grande partie redevables au Sahara. C’est en effet ce contexte qui donne à ces contes leur particularité, tout en constituant le fond sur lequel s’opère, de génération en génération,  la transmission de ces récits, un processus qui revêt une importance extrême, qu’il se fasse à l’intérieur de la famille ou de la tribu ou qu’il finisse par s’étendre à la ville – car  l’héritage narratif est désormais inséparable des soirées familiales et des cercles de meddahînes (chœur des récitants qui chantent la gloire du Prophète) où l’on vient découvrir les récits inédits.

Une partie considérable de notre culture s’est incarnée dans le patrimoine populaire qui s’est constitué au fil des ans et au gré des événements et s’est adapté aux nouvelles circonstances en créant des symboles qui lui sont propres et en ouvrant de nouveaux champs interprétatifs qui ont rempli les fonctions qui leur étaient assignées, à chaque étape de l’histoire, outre qu’ils répondaient, au plan psychologique, aux désirs et aspirations des hommes. « Ces symboles et ces pierres d’attente reflètent, d’un autre côté, les valeurs éthiques de la majorité qui était essentiellement composée de la petite paysannerie et des déshérités, tous êtres qui aspirent à l’oubli, s’opposent à l’innovation et sacralisent le passé, aux dépens du présent et de l’avenir. » Les récits contribuent également au renforcement du ciment social et à la propagation du bien et de la vertu. Ce patrimoine a gagné en importance sous la domination coloniale, devenant un refuge dans la mesure où il représentait une forme de propagande implicite dans la lutte contre l’envahisseur et l’hégémonie culturelle qu’il a tenté par tous les moyens  de déployer et d’enraciner à travers le pays dans le but de gommer l’identité locale.

Si l’idéologie coloniale a pu receler de dangereuses finalités mythologiques, elle a par la suite fait des contes un objet d’étude pour la science des mythes. Pour comprendre les sociétés ciblées et contrôler leurs croyances et leur culture, il fallait en effet, pour commencer, les étudier sous le couvert de ce qui fut alors appelé « l’humanisme militaire ». Un des militaires de l’époque a formulé ce projet en ces termes : « Pour dominer le peuple algérien il faut, avant toute chose bien maîtriser son patrimoine symbolique, ce qui ne peut se faire que par l’étude concrète de ses légendes. »

La mythologie a été la base de l’action colonisatrice en même temps qu’un objet d’étude pour les sociétés colonisatrices. Mais ce type d’humanisme s’étant étiolé avant de disparaître avec la disparition du colonialisme et les études s’étant désormais concentrées sur « le moi et la société-mère », les légendes ont continuent à se développer. Un spécialiste des études mythologiques, Roland Barthes, reconnaît que son intérêt pour l’étude des mythes et légendes s’explique par le fait que « chaque chose dans notre vie quotidienne se ramène à la représentation que se fait la bourgeoisie du rapport de l’homme au monde. » Toute chose est « susceptible de devenir mythe » et chaque époque  est capable de créer ses propres mythes qui viennent s’ajouter au patrimoine que l’on hérite.

Talha Bachir
Algérie

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