Revue Spécialiséé Trimestrielle

APPROCHES CRITIQUES DES PROVERBES POPULAIRES DAMASCENES

Issue 28
APPROCHES CRITIQUES DES PROVERBES POPULAIRES DAMASCENES

Des dizaines d’ouvrages, d’études et d’articles de presse ont été consacrés aux proverbes populaires arabes, en général, et aux proverbes syriens, en particulier. Ces écrits ont exploré le champ narratif et les modes de transmission orale des proverbes dans des récits populaires récurrents. Ils l’ont d’abord fait sur la base des occurrences orales puis à partir des recueils écrits qui ont été élaborés à des époques successives et archivés par étapes, à une époque ultérieure, dans le respect des parlers locaux et au gré de la culture de différents chercheurs qui s’appuyaient, pour chaque lieu, sur la mémoire populaire et historique, sur le contexte social et sur les relations, transactions, comportements, intérêts, préceptes et manifestations diverses qui en étaient le tissu.

 

La plupart des chercheurs ont abordé ces manifestations verbales transmises, de génération en génération, de façon orale, traditionnelle et répétitive, en se fondant sur les abc de la narratologie courante, sans approfondir, analyser ou interroger l’essentiel de leur contenu. Ils ne se sont arrêtés ni sur le processus menant à leur actualisation, ni sur les contraintes structurelles, axiologiques ou spirituelles qui y transparaissent, ni, encore moins, sur la nature, la spécificité, l’arrière-plan professionnel et social de ceux qui les ont formulés – arrière-plan étroitement lié aux comportements humains et, de façon ou d’autre, rattaché au grand tout de la vie quotidienne où se déploient les capacités, les vertus, les caractères, les comportements innés que les êtres humains se sont transmis les uns aux autres depuis l’apparition de l’homme sur cette terre. Tout cet héritage de paroles, d’actions, d’attitudes, de passions plus ou moins éphémères, de perceptions, d’interrogations, toute cette synthèse de leçons apprises, de manifestations où vie intérieure et expérience vécue interagissent, à commencer par la nomination des choses, se trouve en effet synthétisé dans les proverbes.

L’auteur a estimé nécessaire d’aborder les proverbes populaires syriens, en général, et plus particulièrement les proverbes damascènes, comme autant d’échantillons à partir desquels  il pouvait effectuer des tests lui permettant, au cours de sa recherche, de dessiner des schémas susceptibles de mettre en relief les attributs, spécificités, comportements propres  aux habitants du Cham (le nom désigne, ici, la population de Damas et de sa région), et de connaître leur façon de penser, de coexister, leurs relations, leur culture qui est liée à leur psychologie, à leurs habitudes, à l’innéité et à la spontanéité de leurs réactions, à leurs traditions et aux formes de comportement qui les caractérisent en général. Ces multiples manifestations de la socialité spécifique à la sphère damascène ont ensuite été projetées sur le mouvement de la parole en sa récurrence multiséculaire. A cet effet, l’auteur a relevé les différents types de comportement, tels qu’en témoignent les proverbes, en partant du principe que cette démarche est la plus crédible pour bien comprendre ces comportements. Les cinq sens sont en effet conviés dans le discours du proverbe, autant que les gestes spontanés et les secrets de l’âme, les perceptions physiques et intellectuelles qui y sont liées, le jeu des passions, des désirs, des réponses aux besoins matériels, utilitaires ou symboliques, des pulsions nées du plaisir ou de l’élan spirituel, de la quintessence des expériences de la vie quotidienne ou professionnelle, de tous les signes à travers lesquels s’exprime la vie sociale.

L’auteur perçoit les proverbes populaires comme des êtres humains mus par l’action, le changement, l’instabilité, la satisfaction du moi et des coutumes, la perception de soi et des autres. Il a la conviction que l’âme occupe une position médiane entre les valeurs spirituelles transcendantes qui aspirent au divin et les valeurs matérielles et terrestres qui se situent plus bas. L’âme dans sa nature créée et créatrice se représente son rôle existentiel et fonctionnel à travers son rapport aux données humaines changeantes, marquées par l’innéité, l’évolution et la transformation par l’acquisition des savoirs et des expériences, et influencées de façon essentielle par les réactions de l’âme confrontée à elle-même et à l’univers par des actions qui sont, dans certains cas, nobles et spirituelles, et, dans d’autres cas, plus terre à terre. L’âme est en butte à la relative inégalité entre les valeurs matérielles et les valeurs spirituelles, les premières poussant dans bien des situations à obéir aux mauvais instincts car elles sont liées au corps, lequel est fait de terre et de boue. On peut, partant de cette perception comportementale, considérer l’ensemble des proverbes populaires transmis d’une génération à l’autre comme l’aboutissement naturel de comportements tributaires de la psychologie des hommes, de leurs préférences, de leurs intérêts, de leurs aspirations, de leurs désirs, soit d’un ensemble de pulsions que chacun va croiser avec les comportements et pulsions similaires de ceux qui sont mus par les mêmes besoins ou calculs. Le proverbe damascène dit : « Tu es tout sucre tout miel avec qui te ressembles » ;  ou, dans une autre formulation : « Autour du proche le proche s’enroule » – ce qui donne, en arabe littéral : « Les oiseaux tombent sur leurs semblables ». (Qui se ressemble s’assemble).

Il convient, en même temps, de prendre en considération, dans tout travail de déconstruction du texte oral, la structure sociale, dont les domaines sont : l’éducation au sein de la famille, la psychologie, l’analyse des comportements sociaux. Ces domaines sont inséparables, dans certains proverbes, de l’arrière-plan de leur discours narratif, des contraintes qui y apparaissent et qui sont liées à la mémoire collective, laquelle recueille, conserve et transmet cet héritage, de génération en génération. Nous explorons cette mémoire en espérant y trouver une vision, une rémanence, quelque point de passage ou d’évaluation qui nous conduise à une compréhension aiguë et à une approche cognitive qui puissent nous permettre de dégager les leçons et les moralités qui constituent l’arrière-discours des proverbes populaires. Ceux-ci jouent, en effet, de par leur forme et leur tonalité, un rôle dans la formation d’une prise de conscience populaire locale. L’effort de recherche devrait également nous permettre de mieux saisir les nouvelles formes de relations sociales qui se développent aujourd’hui au sein des différentes composantes de la société syrienne, en général, et de la société damascène, en particulier, et qui sont profondément affectées par la crise qui, menaçant à tout moment d’emporter la Syrie, peuple et nation, pose avec acuité la question de la terre et de l’homme en danger d’anéantissement depuis les premiers événements de Deraa (2011) et jusqu’à ce jour.  

 

Abdallah Abu Rached
Syrie

Toute Issues