Revue Spécialiséé Trimestrielle

PROTECTION DES ŒUVRES POPULAIRES ET REDUCTION DE LA FRACTURE NUMERIQUE

Issue 25
PROTECTION DES ŒUVRES POPULAIRES ET REDUCTION DE LA FRACTURE NUMERIQUE

L’humanité vit aujourd’hui à l’heure d’un étrange phénomène à l’échelle de la planète que l’on a appelé la mondialisation et qui tend vers une sorte de monolithisme intellectuel, culturel, social, économique et politique qui représente un défi réel pour l’identité de l’Arabe musulman. Ce défi est d’autant plus grand que la religion, les valeurs, les idéaux, l’éthique  sont visés du fait même que ce sont les aspects culturels de l’identité qui sont pris pour cible et que les techniques de l’information et de la communication, ainsi que le réseau électronique (Internet) et les autres technologies modernes sont mobilisés au service de ce processus monolithique qui a transformé, comme on dit, le monde en un village planétaire, faisant disparaître les barrières géographiques, historiques, politiques, culturelles…

 

C’est sans doute le caractère technologique, économique et informationnel de la mondialisation qui en a renforcé l’impact aux plans culturel, social et politique, de sorte que c’est à présent la planète tout entière qui repose sur la loi du marché et les règles de l’échange économique, médiatique et technologique. Cette évolution a rendu caduques la notion même d’indépendance ainsi que les conceptions locales autour desquelles s’organisait la vie de la cité, donnant naissance à une perception de l’existence commune comme une sphère où les uns produisent et les autres consomment leurs produits.

Les progrès de la technologie imposent aux Arabes le grand défi d’avancer au rythme des développements que connaît le monde et de réorganiser de la meilleure façon leurs rapports aux autres peuples. Le défi des technologies fondées sur l’électronique ne se limite plus en effet à la fracture numérique ou à l’analphabétisme technique, il menace désormais de détruire les fondements même de la nation arabe, ceux du passé aussi bien que ceux du présent.

Le fossé ne cesse de se creuser, dans la plupart des domaines, entre pays avancés et pays en développement, mais ce sont les secteurs du numérique et de l’information qui sont concernés en premier lieu, la fracture numérique étant cet écart « qui sépare ceux qui détiennent le savoir et les moyens de l’exploiter et ceux qui n’y accèdent pas et ne peuvent en posséder les instruments ».

Traiter le problème de la fracture numérique constitue une tâche de la plus haute importance car parler d’une telle fracture c’est parler de développement social à partir d’une vision globale. En même temps, c’est toute la question des réformes politiques, celle de la démocratie, celles de la corruption et de la transparence qui se trouve posée. C’est à ce niveau que s’ouvre le débat sur les problèmes de la mondialisation et sur le modèle libéral capitaliste qui cherche à dominer le monde.

L’« archivage » est en fait un processus qui remonte à la préhistoire, ce qui signifie qu’il précède l’écrit. L’archivage, au sens large du terme, c’est-à-dire la consignation et la conservation des événements historiques et des connaissances scientifiques et leur transmission aux générations qui pourraient en tirer profit, est en effet une notion qui devrait être étendue à la circulation orale des informations, des savoirs et des compétences. La transmission orale de L’Iliade et de L’Odyssée fut l’une des premières formes d’archivage oral, puisque les deux épopées ont pu passer de génération en génération bien des siècles avant qu’elles ne fussent consignées par écrit.

Lorsque les Arabes parlent de ma-thourat ch’abia (littéralement : œuvres traditionnelles ou classiques du patrimoine populaire) ils ont recours à une terminologie précise pour désigner ce qui est appelé, localement, al founoun ach-ch’abia (les arts populaires) ou at-tourath ach-ch’abi (le patrimoine populaire). En même temps, ils désignent par ce terme tout ce qui est classé à travers le monde dans les catégories du « folklore », des «expressions folkloriques », des « expressions culturelles héritées du passé », du « patrimoine immatériel ou invisible », etc. Or les œuvres populaires traditionnelles ou les expressions culturelles traditionnelles, au sens large du terme, constituent la part vivante de l’héritage culturel du groupe ou de la société ; elles sont la mémoire des peuples et représentent le socle de la création artistique qui inspire et enrichit le présent et qui fait que les savoirs et les expériences s’enracinent dans l’histoire culturelle de la société afin que les hommes puissent se ressourcer dans leur passé pour construire en toute confiance leur avenir.

Ces œuvres liées à l’histoire du groupe constituent, dans le même temps, un puissant facteur d’impulsion, une nécessaire motivation et une source spirituelle qui jamais ne tarit, mais, au contraire, ne cesse et n’a cessé de désaltérer les hommes au long de l’Histoire de l’humanité.

C’est pourquoi la défense et illustration de ces œuvres issues de la tradition populaire est le meilleur moyen de préserver cette part si riche de la culture de l’individu, du groupe ou de la société – la réciproque étant tout aussi vraie. Lorsque disparaît l’homme qui est porteur d’un legs si riche c’est l’héritage du passé qui disparaît et avec lui l’identité collective. Culturellement et socialement, un effort sérieux est exigé de chacun pour que soit conservé et entretenu ce qui fait l’identité et l’existence même de tout homme ou, en d’autres termes la continuité de l’espèce et la pérennité de la culture.


Haytham Younis Jadallah
Egypte

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