Revue Spécialiséé Trimestrielle

‏LA CULTURE POPULAIRE ET LE MARKETING TOURISTIQUE

Issue 25
‏LA CULTURE POPULAIRE ET LE MARKETING TOURISTIQUE

‏Les pays arabes, et en particulier les pays  producteurs de pétrole, s’étant orientés vers la diversification de leurs sources de revenus, on ne s’étonnera pas de voir le tourisme bénéficier de plus en plus d’intérêt. Et, comme le tourisme est devenu une matière scientifique enseignée dans les universités et les instituts et, en même temps, une industrie nouvelle pour ces pays, des administrations, des ministères et des institutions ont vu le jour qui œuvrent au développement et à l’exploitation optimale de ce secteur vital. Les pays arabes ont pu dès lors découvrir qu’ils recèlent des richesses et des potentialités qui sont considérables, tant au plan quantitatif que qualitatif, et constituent autant d’atouts pour une politique de marketing et de promotion touristiques.

‏Le tourisme religieux au Royaume d’Arabie Saoudite, en Egypte, en Irak, en Syrie ont toujours constitué d’importantes sources de revenu, sorte de pactole qui n’a jamais eu besoin d’effort de promotion autre que la facilitation des transports et l’amélioration des conditions d’hébergement. Ce type de tourisme continue jusqu’à ce jour à être florissant. Mais ces pays et bien d’autres ont également compris qu’ils disposent d’autres attraits touristiques qui méritent un intérêt particulier, car ils sont de nature à accroître le PIB national surtout s’ils font l’objet d’une continuelle action de modernisation et de développement.

‏Tous les Etats du Golfe se sont tournés, au moment où ils mettaient en place leurs plans de marketing touristique, vers les pays les plus avancés, ceux qui se sont imposés sur la scène internationale,  pour s’inspirer de leurs programmes et activités qui leur ont acquis une telle réputation.  Ils ont compris que ces pays ont choisi tout ce qui, dans les multiples facettes de leur patrimoine matériel et non matériel, pouvait constituer la base de leur action d’information pour attirer les étrangers friands de loisirs et de culture. Ils ont également vu que leurs vestiges demeuraient et continuaient à attirer les visiteurs, alors même qu’ils avaient été pillés et leurs richesses dans une large mesure transférés vers les musées de la puissance coloniale, et qu’ils sont quasiment devenus le support d’un tourisme informel. C’est le cas de pays tels que le Maroc, l’Egypte, la Syrie, la Jordanie, la Palestine. Mais on peut citer  bien d’autres pays arabes.

‏Quels produits dès lors  présenter au touriste qui serait à la recherche d’autres sujets d’intérêt que les vestiges ?
‏Les expériences de pays amis, en Asie et en Europe de l’est et de l’ouest sont apparues, ici, comme un autre exemple de ce qui est susceptible d’être offert au touriste dans l’ordre du patrimoine immatériel. Ces pays ont vu qu’à côté de leurs traditions et coutumes les plus singulières, de la grande diversité de leurs habits et de leurs productions artisanales les chants et les danses populaires pouvaient constituer un autre type d’apport qui a son importance. C’est ainsi que ce type de patrimoine a pu acquérir une réputation à l’échelle du monde. Ce fut le cas, notamment, pour le flamenco espagnol, pour la cornemuse écossaise, la danse asiatique des masques ou d’autres formes culturelles, fort nombreuses, qui sont représentatives de tel ou tel pays en ce qu’il a de plus singulier.
‏Des éléments du patrimoine populaire, chants, danses, habits et produits d’artisanat, ont donc été sollicités en tant que supports dans les plans mis en place par nos pays. Cela constitue en soi une orientation positive, mais il est certain que la majeure partie de cet héritage a été élaborée et présentée de façon hâtive, si bien que cette matière porte la marque de l’improvisation et qu’elle a fort souvent été défigurée. Les significations et les valeurs éthiques et esthétiques dont elle était porteuse se sont édulcorées et, dans bien des cas, ce patrimoine est apparu comme dépourvu de toute âme, sorte de manifestation éphémère que le touriste perçoit distraitement, d’autant que le vrai tourisme culturel exige un acquis préalable sans quoi les sens sont à peine sollicités.

‏L’un des dangers qui guettent, de nos jours, la culture populaire dans nos pays arabes est le déclin des troupes d’arts populaires et leur éclipse de la scène, suite au décès de la plupart des interprètes dont l’art n’a guère été documenté. Le besoin s’étant fait sentir d’utiliser ces arts dans les campagnes de promotion du tourisme, il a été fait appel à des sponsors, à des organisateurs de galas, à des producteurs de spectacles, peu conscients de la valeur de cette matière et incapables, par ignorance ou négligence, de la servir de façon appropriée. C’est pourquoi la Convention internationale pour la protection du patrimoine populaire contre l’exploitation illégale a été adoptée par l’UNESCO et signée par l’ensemble des Etats du monde – sauf que tout s’est passé dans nos pays comme si cette Convention n’avait jamais existé.

‏L’autre danger, constamment présent à nos yeux, est que la plupart des arts populaires présentés dans le cadre des programmes touristiques et à l’occasion de cérémonies officielles sont diffusés sur une large échelle par les chaînes satellitaires et touchent un vaste public, si bien qu’ils s’impriment sous une forme dénaturée dans la mémoire des jeunes générations. Celles-ci reçoivent en effet ces arts du patrimoine par le canal de la promotion touristique et les assimilent comme une part de leur héritage ancestral ainsi que veut le leur faire croire l’information touristique.

‏Nous voilà revenus à ce qui a constamment été notre préoccupation centrale : la nécessité de collecter, d’archiver, de documenter et de conserver les éléments de la culture populaire. C’est ensuite seulement que viendra l’exploitation de cette matière et son utilisation à des fins utiles, que ce soit au service du tourisme ou ailleurs.

Ali Abdallah Khalifa
Président de la rédaction

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