Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA PLACE DU CONTE DANS LE ROMAN MAGHREBIN CONTEMPORAIN

Issue 24
LA PLACE DU CONTE DANS LE ROMAN MAGHREBIN CONTEMPORAIN

Dans les pays du Maghreb comme dans les autres pays du monde arabe, le roman contemporain a trouvé dans le conte une source d’inspiration et un nouvel élan qui s’inscrivent dans le cadre de ce mouvement d’innovation et d’expérimentation par le retour à la tradition à travers lequel la création romanesque maghrébine affirme sa spécificité mais aussi sa maturité, non seulement au plan du contenu mais aussi au plan des structures romanesques.

Si certains romanciers maghrébins ont puisé dans l’Histoire ou le patrimoine d’autres ont en effet ouvert leurs récits aux espaces imaginaires du conte animalier, espaces riches en symboles et allégories à travers lesquels l’écrivain peut reformuler sa vision du monde et proposer des réponses aux questions culturelles et humaines les plus ardues.

Nous trouvons à l’avant-garde de ces romanciers maghrébins qui ont tenté par le moyen du conte de réaliser dans leurs œuvres cette haute aspiration artistique l’écrivain libyen Sadok Rajab al Nayhum (1937-1994). Al Nayhum a séjourné aux Etats-Unis, au Liban et en Suisse où il a enseigné jusqu’à sa mort comme Professeur à l’Université de Genève. Au long de ses multiples pérégrinations, cet écrivain n’a cessé d’affirmer son attachement au patrimoine arabo musulman. Romancier consciencieux et plein d’audace, al Nayhum a en effet constamment interrogé les textes du patrimoine. D’une œuvre à l’autre sa pensée a été un véritable défi à la raison arabe enfermée dans ses conceptions archaïques défaitistes dont il a dénoncé le substrat métaphysique.

Outre cette exploration intellectuelle du patrimoine, al Nayhum a fait de l’héritage traditionnel l’un des fondements de sa recherche littéraire, à travers ses romans et nouvelles qui ont transcendé les stéréotypes narratifs dont le discours narratif maghrébin avait bien du mal à se libérer. C’est ainsi qu’il a pu inventer de nouvelles formes artistiques en s’appuyant sur un référentiel culturel où le patrimoine déploie ses multiples ressources.

Quels que fussent les problèmes d’adaptation lexicologique ou terminologique que le romancier eut à résoudre pour intégrer le conte merveilleux à ses narrations, al Nayhum a su faire de ce patrimoine la pierre angulaire de sa création romanesque, qu’il se fût agi de récits longs ou courts. De son recueil intitulé A travers les contes pour enfants à son roman Les Singes – roman où il présentait une vision satirique des régimes arabes dans leur rapport à Israël –, à sa dernière œuvre romanesque, Les Animaux, cet écrivain n’a cessé d’affirmer son profond attachement au patrimoine en général, et au conte merveilleux en particulier.

La question du rapport des intellectuels libyens à l’autorité politique, relations qui plongent leurs racines au plus profond de l’Histoire arabe, est au cœur de ces deux romans. Le conte a en effet toujours été pour le romancier arabe et, avant lui, pour le conteur populaire un tremplin non seulement pour faire parvenir un message politique codé à ceux qui détiennent le pouvoir mais aussi un moyen artistique pour opérer la jonction entre la forme romanesque et l’héritage narratif arabe.

C’est cette jonction que l’auteur tente dans cette étude de mettre en évidence à travers une analyse des Animaux. Sadok al Nayhum a réussi, dans cette œuvre comme dans ses autres récits, à s’approprier le riche patrimoine narratif arabe pour construire une forme de discours romanesque qui était aussi une critique acerbe de l’échec politique et du recul culturel de son propre pays, la Libye, et, à travers ce pays, du reste de l’espace maghrébin. Mais il ne s’est pas contenté dans Les Animaux de diagnostiquer le mal, il a clairement proposé la solution, qui est la révolution. L’écriture s’affirme, assurément, chez al Nayhum comme un acte révolutionnaire et dialectique au service de la vérité tant politique que religieuse ou sociale.

Cette vérité, qui est le plus souvent passée sous silence dans nos pays, al Nayhum n’a cessé de la proclamer sans crainte ni complaisance, mais il s’est heurté à une mentalité arabe peu réceptive. L’homme a ainsi connu de graves problèmes qui ont fini par avoir raison de sa santé. Intellectuellement marginalisé, il s’est en effet trouvé contraint de prendre le chemin de l’exil et de vivre jusqu’à sa mort hors de sa patrie. Ses livres ont été confisqués et continuent, même après sa disparition, à être marginalisés.
La révolution annoncée par Les Animaux ne fut pas seulement politique, elle fut également un véritable bouleversement aussi bien au plan de la pensée que de la forme romanesque.

L’auteur a voulu, à travers la réflexion qu’il a développée dans cette étude, redonner la place qu’elle mérite à une expérience romanesque maghrébine qui fut jusque-là évaluée sous l’angle de l’idéologie et non pas de la critique littéraire, sur la base de jugements qui n’étaient en fait que des réactions aux positions politiques et idéologiques de l’homme Sadok al Nayhum.

Hamid Al Jairari
Maroc

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