Revue Spécialiséé Trimestrielle

LES BASES DE L’INTERACTION VERBALE DANS LE TATOUAGE : UNE APPROCHE LINGUISTIQUE

Issue 23
LES BASES DE L’INTERACTION VERBALE DANS LE TATOUAGE : UNE APPROCHE LINGUISTIQUE

De nombreux chercheurs se sont intéressés, dans les temps anciens aussi bien que modernes, à la dimension symbolique du tatouage. Le sujet a fait l’objet d’approches cognitives diverses qui ont contribué à lui conférer une portée sociale, psychologique et esthétique des plus riches. Des chercheurs appartenant à diverses spécialités ont considéré le tatouage comme un moyen de communication dont les signes sont chargés de significations symboliques représentant en elles-mêmes un message.

 

 

Certains psychologues sont allés jusqu’à affirmer que le tatouage signale une personnalité perturbée qui éprouve des difficultés à communiquer au moyen de la langue naturelle et se sert du tatouage comme d’un outil palliant la communication verbale. D’autres y verraient plutôt un jeu de séduction opérant autour du binôme révélation/dissimulation. Mais, quelles que soient les interprétations qui entourent cette manifestation, toutes convergent vers une seule signification : par le tatouage nous adressons un message  à décrypter et créons une situation d’interaction verbale.
Le tatouage est en effet porteur d’un message qui contient une signification, laquelle peut être immédiate, lorsque le tatouage est formé de mots ou de phrases, ou symbolique, lorsqu’il est fait de dessins originaux ou de formes convenues. L’auteur considère, pour sa part, que toutes les formes constitutives du tatouage ont une même valeur interlocutoire mais diffèrent au niveau de l’effort d’interprétation exigé. Celui qui regarde un tatouage va procéder à une lecture, que le tatouage soit un dessin ou un groupe de mots ou de phrases. Il va en même temps consentir un effort pour accéder à la signification du tatouage en recourant aux mêmes mécanismes interprétatifs et en développant les mêmes capacités cognitives que pour toute autre manifestation. Le tatouage est en effet un ensemble de signes gravés sur le corps qui portent nécessairement une signification. Mais tout ce qui porte un sens ou transmet un message est-il nécessairement un moyen de communication ? Ou bien sommes-nous appelés face à un signe à faire la distinction entre la portée symbolique et la portée interlocutoire de ce signe ?
Compte-tenu de l’évolution des théories de l’interaction verbale et de l’attachement des linguistes à définir les bases, règles et conditions de cette interaction, il n’est plus possible de considérer d’emblée et sans  en avoir vérifié l’adéquation avec les fondements théoriques définis par les linguistes telle ou telle manifestation comme une forme d’interaction verbale. On sait que les linguistes sont unanimes à penser que l’interaction verbale se fonde sur quatre axes : un locuteur adressant un discours, un récepteur cible de ce discours, un cadre temporel dans lequel se tient le discours, un cadre spatial défini par la résonance de cette interlocution. Il ne suffit pas d’un message et d’un destinateur pour que l’on puisse parler d’interaction verbale, il faut qu’il y ait un destinataire à qui s’adresse le message et qui doit, nécessairement, se situer à l’intérieur d’un cadre temporel et spatial pour que se produise une situation d’interaction verbale. Les quatre fondements de cette interaction influent directement sur le processus d’interprétation et contribuent à définir le sens voulu.
Ces données de base sont-elles réunies en ce qui concerne le tatouage ? La théorie du discours est-elle appropriée à la part d’interaction verbale que le tatouage actualise ?
L’auteur estime que le tatouage réalise une certaine forme d’interaction verbale. Il constitue en effet un signal voulu par celui qui le porte sur son corps pour transmettre un message à quelqu’un d’autre. Le tatouage interpelle l’observateur, il lui signale que celui qui le porte a une information à lui communiquer, et c’est ainsi que se réalise « la finalité interlocutoire ». Il est également en soi une invitation à l’observateur à développer un ensemble d’hypothèses de nature à déterminer l’identité de son porteur ainsi que le rapport du tatoué aux autres, ce qui veut dire qu’il apporte une information, de sorte que se réalise « la finalité informative ». C’est pour cette raison que l’auteur est parti de l’hypothèse que le tatouage constitue une forme d’interaction verbale fondée sur des signes et des signaux.
L’auteur est convaincu que le tatoué veut nécessairement transmettre un message à un autre. Exhiber un tatouage sur cette surface externe qu’est le corps c’est se servir d’un moyen tout à la fois subjectif et objectif de communiquer avec l’autre à travers un acte visant délibérément à attirer son attention. Le tatouage constitue donc un avertisseur inscrit dans un espace spécifique qui est le corps. Spécifique dans la mesure où il s’agit d’un signal qui nous avertit de la présence de l’individu à proximité, dans le même cadre spatial. Le choix du corps en tant qu’espace du tatouage amplifie le signal et lui donne un plus grand impact.


Narjès Badis
Tunisie

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