Revue Spécialiséé Trimestrielle

Hîziya L’algérienne, Martyre De L’amour

Issue 20
Hîziya L’algérienne, Martyre De L’amour

Au début, l’amour pousse comme poussent les épineux dans une terre aride. Il pique et blesse, ce que nul ne veut le reconnaître jusqu’au jour où quelqu’un vient s’y frotter et c’est alors la fin. 

Ou bien des blessures à répétition ou bien c’est la mort, impitoyable, implacable. 

Hîziya est cette jeune bédouine qui, dès le départ, a hérité de sa vie à la campagne l’innocence, la pureté et la chasteté. Sa beauté naturelle la faisait ressembler à une gazelle dans la peau d’une belle femme arabe. 

Son histoire est bien réelle. Elle eut pour cadre le Sahara dans toute sa vastitude, et, plus précisément, le village de Sidi Khaled, un lieu qui se serait dérobé à la civilisation pour se blottir au plus profond du désert. Habitent ce village des hommes soumis aux lois de la tribu qui considèrent l’amour comme une infraction et refusent de le reconnaître. L’époque était fort éloignée de la nôtre, c’était en effet l’époque du « pur amor », celle de la passion platonique où les amants brûlent intérieurement d’amour mais jamais ne se rapprochent l’un de l’autre. 

Hîziya est la gazelle de Biskra vers laquelle convergent tous les regards. Elle est l’une des merveilles de ces étendues désertiques. Mais il faut savoir que la beauté dans ces régions est toute innée ; elle se présente sans apprêt ni maquillage, telle que Dieu l’a créée ; son seul ornement ce sont ses tresses et c’est sa longue chevelure qui lui recouvre les épaules.  

Pour le noir de ses yeux, c’est un miracle de la création divine car Dieu seul est capable de perfection en toute chose. Ses pieds et les paumes de ses mains sont ornés de tatouages en henné qui sont autant de belles arabesques gravées par des artistes de talent. Observons maintenant de près celui-là qui ne la quitte pas du regard, et nous comprendrons qu’il s’agit de Saïd, le valeureux chevalier du désert. Saïd la guette à chacune de ses sorties, il la suit lorsqu’elle s’en va vers la source, et son cœur ne cesse de saigner pour elle. Elle aussi a ressenti cette attention avec toute la force du sentiment que Dieu a mis dans son cœur et qui est élan d’amour. Ainsi se sont-ils aimés, mais en silence, et le silence est un feu qui dévore toute chose à l’intérieur des êtres car l’amour a besoin d’aveu et non pas de mutisme, même si l’aveu doit passer par le langage des yeux, cet océan où viennent s’inscrire chagrins et tristesses et où se noient les amants. 

Mais Hîziya n’a pas  subjugué le seul Saïd, elle a fasciné l’élite de la jeunesse de Sidi Khaled, et chacun se mit à espérer qu’elle soit sa compagne pour la vie.

Un jour, Hîziya trouva à son réveil des dizaines de chevaliers qui l’attendaient à la porte de sa tente. A même le sol, ils avaient étalé les cadeaux qu’ils lui apportaient et qui, tous, étaient aussi variés que somptueux. Certains lui offraient de l’or, d’autres de l’argent, d’autres encore étaient suivis de mille têtes de chameaux ou de moutons… Ces vaillants chevaliers s’avancèrent, l’un après l’autre, vers elle. Mais, à chaque prétendant, elle opposait un non catégorique. 

Hîziya épousa Saïd, elle vint chez lui en grande pompe, sur le dos d’une belle chamelle, et leur nuit de noce fut la plus heureuse qu’amants puissent rêver, même si les yeux innocents de Hîziya étaient imprégnés de timidité et que ses joues ne cessaient de rougir, tant était grande sa pudeur. Lorsque Saïd la prit par la main, elle tremblait d’émotion. 

Passèrent les jours et les semaines et, au quarantième jour de leur mariage, quelle ne fut la douleur de Saïd lorsqu’il trouva Hîziya étendue sur son lit et se tordant de douleur ! Ainsi mourut Hîziya et ainsi mourut l’amour. Saïd se mit alors à errer dans le désert, il s’enfonça dans les replis sans fin du Sahara, à la recherche du vide et du rien, appelant Hîziya, tantôt à haute voix, tantôt en murmurant son nom, le cœur déchiré par les regrets que lui laissait celle à qui il avait donné ce cœur et qui l’avait abandonné au milieu de la liesse et du bonheur.

Hïziya s’en était allée et Saïd s’était égaré dans un désert sans bornes. Mais l’histoire de leur amour est restée vivace, elle s’est transmise de bouche à oreille, d’une génération à l’autre, sous la forme de récits, de poèmes, de chansons. Les poètes sont en effet toujours à l’affût de ce genre de contes ; certains en ont même fait des épopées, véritables Iliade dont la trame est faite d’amour et l’essence de mort. 

 

Mohiuddin Kharif

Tunisie

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