Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA DIALECTIQUE DE L’ART ET DU TRAVAIL L’EXEMPLE DE LA TOUIZA DANS LA REGION DE SIDI BOUZID

Issue 17
LA DIALECTIQUE DE L’ART ET DU TRAVAIL L’EXEMPLE DE LA TOUIZA DANS LA REGION  DE SIDI BOUZID

zazia barqoky (Tunisie)

La manifestation appelée touiza est liée au système tribal et s’inscrit dans le cadre des traditions et coutumes liées à la vie économique et sociale qui sont transmises, de génération en génération, au sein d’un groupe donné.

 

Le mot touiza (ou at-touiza) désigne un ensemble d’actions volontaires constituant une contribution au cycle économique et à la vie sociale ? dans la région étudiée, à savoir le gouvernorat de Sidi Bouzid, en Tunisie. La touiza est organiquement liée à l’organisation tribale, en raison de l’esprit de solidarité entre les membres du groupe qu’elle manifeste et des règles qu’elle impose et qui trouvent leur origine dans les us et coutumes sur lesquelles se  fonde le groupe.

La touiza est donc une action sociale volontaire, quoique non concertée, et commune qui a pour but de réaliser une œuvre sociale ou humaine au profit de l’individu et de la collectivité, et cela à travers la mise en commun des énergies et des outils dont dispose le groupe. Cette manifestation émane, nul doute, d’un sens élevé de la responsabilité sociale que le groupe en question a su développer et transformer en acquis culturel, tant au plan des coutumes que des traditions et des usages.

La touiza constitue donc un acte de solidarité concret, fondé sur l’action et l’effort : un groupe formé pour l’essentiel d’agriculteurs se constitue sur la base d’un projet agricole et d’élevage qui est mis en œuvre selon des méthodes traditionnelles, impliquant des outils et des équipements simples, mais dont la mobilisation requiert entraide et coopération entre plus d’une partie.

La touiza joue un rôle important dans les activités saisonnières. La participation du groupe à une activité est de nature à mutualiser les efforts et à alléger le fardeau de chacun. Il s’agit donc d’une entreprise collective imposée par la nature, le milieu et les exigences du système social. La touiza contribue dans une large mesure à garantir aux membres du groupe le logement, l’habit et la nourriture, l’effort collectif étant de nature à décupler la productivité, en un temps réduit. Le groupe est en effet perpétuellement en lutte contre la nature et l’inconnu ; ses hommes se trouvent engagés dans un processus de dialogue et d’interaction avec la nature, à travers une dialectique sans fin de l’offre et de la demande. Plus grand à cet égard est l’effort plus gratifiante est la réponse de la nature.

Mais, si ces actions collectives répondent à des besoins économiques du groupe, nul ne saurait ignorer le rôle important qu’elles jouent dans cet équilibre des âmes et des cœurs qui est indispensable à l’équilibre social. La touiza est en effet une manifestation collective qui fonctionne comme un cadre approprié à la concertation, au dialogue, aux échanges de conseil, aux conversations à bâtons rompus, toutes choses qui représentent de vrais soupapes de sécurité pour le groupe, qui se libère, dans ces occasions, les seules  qu’il connaisse, à vrai dire, de ses complexes et de ses refoulements. 

C’est à ce niveau, celui de l’échange et de la communication, que se situe le versant artistique de la touiza. Celle-ci ouvre en effet un vaste espace à la transmission d’un ensemble de prestations artistiques qui ne se rencontrent que dans ce cadre. Nous citerons, à titre d’exemple, des chansons telles qu’ « At- touiza » ou « Ya loumi a’l zerga » (Tous mes reproches à la très brune !) qui ne sauraient être chantées en dehors de cette manifestation.

La touiza joue donc un rôle important dans la préservation du patrimoine et de la culture des ancêtres, dans la mesure où elle rassemble en un seul espace les formes constitutives du fonds culturel où la chanson joue un rôle primordial, en tant qu’elle meuble les heures du travail collectif.

L’héritage oral est enregistré dans la mémoire et se transmet uniquement par l’écoute. Et c’est la touiza qui fournit le cadre, le contexte socioculturel idéal où se transmettent les différents types de chansons évoquées dans l’étude.

Il convient également de souligner que la mémoire collective reste le seul moyen dont dispose le groupe pour conserver cet héritage oral, en dépit des défis et entraves que peuvent représenter les mutations technologiques, culturelles et sociales.

Ce qui est certain à nos yeux c’est qu’il existe un lien étroit entre les différents types de chansons et le cadre général dans lequel celles-ci sont produites. Les nombreux enregistrements que nous avons effectués nous ont en effet convaincu que la même exécutante ne se souvient de certains thèmes et motifs mélodiques d’une chanson que lorsqu’elle l’interprète dans le contexte du travail collectif de la touiza, et que sa mémoire ne parvient guère à restituer ces passages lorsqu’elle est sollicité dans un autre cadre.

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