Revue Spécialiséé Trimestrielle

LE FOLKLORE DE L’OASIS DE SIWA ET L’IDENTITE CULTURELLE

Issue 17
LE FOLKLORE DE L’OASIS DE SIWA ET L’IDENTITE CULTURELLE

Mustapha Jad(Égypte)

L’observation des différents aspects du patrimoine populaire dans l’oasis de Siwa montre à quel point les nombreuses pratiques populaires témoignent du lien étroit entre le patrimoine et le lieu, d’un côté, le patrimoine et l’identité culturelle de la région, d’un autre côté. L’étude porte sur certains aspects de l’héritage populaire dans cette oasis, telles que les célébrations et cérémonies, la médecine populaire ou les pratiques liées aux sources d’eau et aux jeux populaires, et tente d’y déceler l’influence de l’environnement naturel.

 

L’oasis de Siwa se trouve à 300 kms de la côte, au sud-ouest de Marsa Matrouh dont elle dépend administrativement. Elle est située à 18 mètres au-dessous du niveau de la mer. On y a fait en 2007 la découverte des traces les plus anciennes de pas humains sur la surface de la terre, des traces remontant à environ trois millions d’années. Parmi les sites les plus importants de Siwa on peut citer les vestiges de la vielle ville de Chali, les ruines du temple d’Amoun, l’un des plus célèbres devins de l’antiquité. Les sources et les petits lacs y sont en grand nombre, et l’oasis est célèbre pour ses dattes, ses olives et son artisanat : tapis, étoffes, bijoux, habits traditionnels, etc.

L’oasis de Siwa est également riche en sites historiques, tels que le temple d’Amoun, la zone d’Al Maraki, les tombes de la Montagne des morts, outre les lieux où se déroulent de nombreuses pratiques sociales qui se sont perpétuées jusqu’à nos jours, tels que le Djebel Dekrour ou les différentes sources d’eau.

L’architecture constitue sans aucun doute l’un des points essentiels de toute étude sur l’oasis, sa culture et ses arts, surtout celle des constructions anciennes dont nous trouvons quelques exemples dans la partie ancienne de la ville de Siwa, appelée Chelli et dans le village d’Agormi, sis à trois kilomètres de là, et qui a conservé certains vestiges d’anciennes constructions et infrastructures, ainsi que ses ruelles étroites, sans parler des puits qui nous rappellent les vieilles légendes et autres témoignages d’une civilisation révolue. Les gens ont, cependant, commencé à construire autour de ces sites de nouvelles habitations. 

Le Djebel Dekrour se trouve à environ cinq kilomètres, au sud de l’oasis. Il est connu pour son climat salubre et l’abondance de ses sources d’eau pure. L’auteur estime qu’il n’est pas nécessaire de s’arrêter longuement sur les tombes archéologiques sculptées dans la roche du Djebel, la question ayant fait l’objet de nombreuses études spécialisées, mais qu’il importe de connaître l’étendue des liens noués par les habitants de l’oasis, au niveau de leurs pratiques populaires avec cet endroit qui a donné lieu à tant de coutumes, croyances, légendes et cérémonies populaires.

Les premières pratiques liées à ce lieu concernent la médecine. Jusqu’aux années trente du siècle dernier, les habitants de Siwa avaient en effet pour habitude d’y passer quelques jours, lorsque la lune du mois de Rajab (qui précède de deux mois le Ramadan) arrivait à sa plénitude. Ils montaient leurs tentes sur le flanc sablonneux de la montagne et considéraient leur séjour comme un congé au cours duquel chaque individu, homme ou femme, se devait de consommer la plus grande quantité possible d’ail car ils croyaient que cela leur donnerait plus de santé et de vigueur pour le reste de l’année.

Si le Djebel Dekrour et ses flancs sablonneux ont pu avoir une fonction thérapeutique pour les habitants de l’oasis, sa situation géographique et son altitude ont eu d’autres fonctions aux plans du culte et de la spiritualité, ainsi qu’en témoigne le festival de tourisme à double caractère soufi et médical.

Les sources d’eau dans l’oasis de Siwa constituent également un élément essentiel au niveau des pratiques populaires des habitants. Les plus célèbres sont : la source du Hammam, celle de Tammoussi, celle d’Al Ktara et celle de Grichat. Des auteurs arabes ont parlé de l’existence de plus de mille sources dont les eaux coulaient en abondance à Siwa. La source (‘aïn) joue un rôle important dans les célébrations du cycle de la vie. Parmi les rites liés aux anniversaires et autres événements, comme la fête de la circoncision des enfants, citons celui qui consiste à raser à la lame la tête de l’enfant, le jour précédant l’événement, puis, au soir de ce jour, l’arrivée de certains des proches de l’enfant qui se chargent d’imprimer sur ses mains des dessins au henné, avant de le conduire le lendemain matin à la source de ‘Aïn Tammoussi pour le laver et le ramener ensuite à la maison pour cérémonie de la circoncision.

Quant au lien entre la source et le rite du mariage, il concerne l’après-midi du jour de la cérémonie. La mariée se rend en effet avant le marié dans une source, tandis que lui se rend au milieu de l’après-midi dans une autre source pour y prendre son bain. Un cortège de femmes parmi les parentes et les voisines accompagne la mariée à la source. Dans le passé, le cortège se rendait à pied à la source, mais, à présent, la mariée y est conduite dans une voiture. Les témoignages recueillis sur le terrain montent que, dans les temps anciens, la mariée se baignait effectivement dans la source, alors qu’elle ne fait actuellement que se laver les mains, le visage et les pieds. Arrivée à Aïn Tammoussi, elle enlève le disque ornementé (qui s’appelle idram) de sa ceinture (appelée ighrou) et le remet à sa mère ou à l’une de ses tantes, afin que l’une de ses jeunes sœurs ou une autre fillette de la famille puisse s’en servir à l’avenir. Pour le marié, il se rend à Aïn Katara dans l’après-midi de la cérémonie, entouré d’amis lui faisant cortège, et prend son bain dans la source; deux de ses amis seulement se chargent de le laver à l’eau et au savon. Il porte à cette occasion un djelbab (tunique ample) ordinaire. La cérémonie du bain dure une heure.

Il ressort de ces quelques observations effectuées sur le terrain que l’oasis de Siwa constitue une zone d’une grande richesse en termes de culture populaire, outre les trésors archéologiques qu’elle recèle et qui font partie du patrimoine mondial. La richesse folklorique de l’oasis a besoin d’être scientifiquement archivée et documentée, au moyen des technologies de l’information et de la communication ainsi que des nombreux autres médias utilisés actuellement à l’échelle internationale. Les quelques pratiques populaires étudiés dans le cadre de l’article ne sont que des exemples des nombreuses manifestations folkloriques qui doivent être collectés et consignées dans une grande base de données qui pourrait devenir un véritable modèle d’archivage moderne. L’expérience sur le terrain montre, cependant, qu’un tel travail de collecte et de documentation constitue une tâche des plus ardues car il s’agit d’une matière maniée au quotidien par les hommes alors que l’archivage des vestiges et monuments concerne des entités immuables dont l’inventaire et le classement paraît aisé.

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