Revue Spécialiséé Trimestrielle

LES TRADITIONS DU MARIAGE DANS LA JAZIRA SYRIENNE

Issue 16
LES TRADITIONS DU MARIAGE DANS LA JAZIRA SYRIENNE

Mohamed Sammouri (Syrie)

L’étude traite des préambules théoriques à la fondation de la famille rurale dans la région appelée Al Jazira syrienne (préfecture d’Al Hiska). Ce choix s’explique par deux raisons: premièrement: Al Jazira (littéralement: l’île, le mot désignant sans doute une zone rurale enclavée) est la parfaite illustration du milieu rural syrien; elle est la patrie des tribus arabes et, objectivement, le berceau du patrimoine culturel immatériel de ces tribus, eu égard aux traditions qu’elle recèle et qui remontent à la nuit des temps, qu’il s’agisse de dictons et proverbes populaires, de coutumes, de rites,

d’héritage musical ou d’arts de l’expression et de la représentation, etc.; deuxièmement: la famille rurale de la Jazira est le meilleur exemple de famille arabe, en général: y cohabitent les deux grands-parents, les deux parents; les frères avec leurs familles: des arrière-grands-parents aux arrière-petits-fils la famille peut compter jusqu’à cinquante membres.

La Khoutouba: le mot désigne la demande en mariage. Celle-ci se fait en deux étapes : d’abord, un homme de confiance est envoyé par le père du jeune homme au père la jeune fille, pour connaître ses premières réactions. Un délai de quelques jours est laissé à ce dernier afin qu’il se concerte avec sa fille, sa femme et sa parentèle. A ce dernier niveau, ce sont en général, les femmes qui s’acquittent de la mission, le jeune demandeur étant rarement informé du contenu de toutes ces tractations. Le mariage, dans les traditions tribales, n’est pas soumis à des conditions d’âge, mais le plus souvent, pour la jeune fille, il se fait à un âge précoce qui est laissé à la libre décision du père. La deuxième étape intervient après l’obtention de l’accord de principe. Elle s’appelle : machie al jah (littéralement : la « marche » des nobles) ; le cortège est formé d’un certain nombre de notables jouissant de la considération du père de la jeune fille ainsi que de personnes influentes auprès de lui.

Al hiyar: Il s’agit d’un droit tribal qui autorise l’un des cousins à exercer un « droit de préemption » face à un candidat plus éloigné que lui dans l’ordre de succession des grands-pères ; une fois épuisés ces recours, ce même droit s’étend aux membres de la tribu de la jeune fille, n’importe lequel d’entre eux pouvant s’opposer à son mariage avec un membre d’une autre tribu.

Al mahr (appelé aussi Essiaq: dot payée par l’homme) : une fois les entraves levées et l’accord conclu, on commence à parler du mahr (appelé également naqd: mot arabe désignant la monnaie). La délégation demanderesse s’adresse au père de la promise pour qu’il se prononce à ce sujet ; il est de tradition que celui-ci passe un long moment à hésiter, à s’interroger, à manifester son embarras, multipliant à dessein les atermoiements afin de faire accepter sans opposition ses conditions.

Al ‘aqd (le contrat): l’un des cheikhs de la foi, appelé molla, est sollicité ; s’il n’est pas disponible, il n’est pas rare que l’on parcoure de longues distances afin d’en trouver un autre pour rédiger le contrat. Le père de la promise aura entretemps mandaté quelqu’un qui aura pour fonction de signer de sa propre main le ‘aqd al nikah (contrat de mariage ou d’union). Cet homme est le plus souvent choisi parmi les proches : le père lui donne une poignée de mains ; il s’agenouille ensuite devant lui en lui disant : « Je te mandate pour conclure le contrat de mariage et d’union de ma fille une telle, fille d’untel, avec untel, fils d’untel, sur la base d’un mahr de tant et un mahr à terme de tant, selon la loi (sunna) de Dieu et de Son Prophète. » Le mandataire répond : « J’accepte le mandat. » On fait venir par la suite le molla, et celui-ci récite des versets du Saint Coran. Il instruit ensuite les présents des paroles à prononcer. Le futur marié et le mandataire se placent alors en position accroupie devant lui, chacun serrant la main de l’autre, et le mandataire dit au jeune homme : « Je t’ai marié et uni à la fille de mon commettant, une telle fille d’untel, sur la base d’un mahr de tant et d’un mahr à terme de tant, selon la loi (sunna) de Dieu et de Son Prophète. » Le demandeur répond : « J’accepte. » L’assistance récite alors la Fatiha en présence de deux témoins. La procession s’ébranle après que le molla a été remercié et loué. En général, ce cheikh ne perçoit aucune rémunération pour sa prestation.

Al jahaz (appelé aussi Az-zahab : habits, trousseau…): il est divisé en deux parts, chaque partie assumant l’une de ces parts. La famille du jeune homme se charge de l’achat de la badla qui se compose de : l’habit, le zboun qui est une tunique ouverte à l’avant et pourvue de manches longues (appelées arden), la ‘abaa (manteau de laine), les chaussures, la mahrama (que l’on appelle aussi la ghetra) qui sert à couvrir la tête, la hebria pour couvrir le visage de la mariée ; la famille du futur marié achète également les cadeaux à offrir aux hôtes qui viennent féliciter la famille de la promise, ainsi que la khala’a qui consiste le plus souvent en une robe de cérémonie ou en une bande de tissu, ou encore en un assortiment de serviettes, voire en un ensemble de chaussettes. Quant à la famille de la promise, elle s’engage à acheter les bijoux en or, mais aussi le coffre de la mariée qui est une boîte en bois d’un mètre et demi sur un mètre, haute d’un mètre et ornée de sculptures et de franges en velours.
La cérémonie du henné: elle a lieu quelques jours avant la date du mariage. Les rites sont divers et sujets à modification, mais il existe un dénominateur commun aux différentes tribus de la Jazira, c’est la réunion des jeunes filles qui se rassemblent dans la maison de la promise ; elles s’enduisent les mains de henné ; la mariée, elle, s’enduit et les mains et les pieds et les cheveux, puis elle s’étend sur son lit et cesse toute activité au sein de la maison. On dit qu’elle est moukhaddara (littéralement : droguée, anesthésiée) car elle reste dans cette position de repos jusqu’à la cérémonie de mariage. Au cours de cette période de khedr (accalmie, ataraxie), la jeune fille est appelée à écouter divers conseils et recommandations de la part de sa mère ou de ses amies déjà mariées. Il est courant que la mère la dote d’amulettes et autres talismans, conformément aux croyances populaires qui sont répandues au sein de la tribu.

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