Revue Spécialiséé Trimestrielle

LES PERLES ET LES LARMES

Issue 15
LES PERLES ET LES LARMES

Bazzeh Al Batini (Koweït)

L’expression populaire de « la perle de la sagesse » a souvent désigné, surtout en orient, des livres consacrés à la médecine, à la vie, à l’inspiration, à la guidance… Les Chinois croyaient en effet que la perle est constitutive du cerveau du dragon et qu’elle est donc le symbole de la sagesse. Pour obtenir un tel trésor on devait tuer le dragon.

L’idée était que l’homme qui aspire à posséder le savoir et la sagesse doit consentir les plus grands sacrifices afin d’y parvenir. Il doit passer par diverses expériences et surmonter de terribles épreuves, tant physiques que morales. Cet itinéraire s’appelait « le périple du héros » et sa signification profonde était que l’homme doit se débarrasser de ce qu’il a retenu jusque-là de la vie pour s’élever vers ce qui est plus noble et plus gratifiant afin d’accéder à la « perle de la sagesse».
Nous sommes en effet, face à notre intériorité, comme devant un immense océan où nous entrevoyons, au cœur de l’obscurité la plus épaisse, une perle scintillante. Blessures anciennes accumulées et concentrées, un amour à découvrir, et une sagesse à acquérir : allons-nous, alors, nous embarquer sur un tel océan et affronter les terribles dangers qu’il recèle pour accéder à ce trésor ?
On peut, à partir de ces données, facilement comprendre que la perle soit liée à la santé, à la chance, à la richesse ou à la beauté. Mais il est difficile d’expliquer qu’elle ait également été associée à la tristesse et aux larmes. On peut supposer que cela avait un rapport avec les dangers que devait affronter le pêcheur lorsqu’il plongeait à la recherche de cette pierre rare. Mais peut-être y verra-t-on aussi une allusion à la nécessité de briser l’huître pour en extraire la perle, ce qui constitue une sorte de meurtre, si négligeable qu’en paraisse l’objet.
Mais l’explication la plus simple du rapport entre la perle et la larme réside dans la formation même de la première. Le mollusque qui vit à l’intérieur de l’huître sécrète en effet la matière rocheuse qui va devenir une perle pour se protéger contre l’intrusion dans son organisme d’un grain de sable ou d’un éclat d’origine végétale, exactement comme l’œil humain sécrète des larmes lorsqu’il est agressé par une poussière ou un grain de sable. L’œil a la forme de l’huître ; les paupières s’ouvrent et se referment de la même façon que le coquillage ; dans un cas comme dans l’autre, des larmes sont sécrétées. Mais la perle est le plus beau des accomplissements : le mollusque, animal vulnérable entre tous, a pu transformer la nuisance en une pierre admirable. Ainsi devons-nous apprendre à grandir des malheurs même qui nous frappent.
Dans notre existence, le destin (ou le déterminisme) et le libre arbitre sont inséparables autant qu’indissociables. Il nous arrive de nous attirer volontairement des ennuis, mais ceux-ci peuvent également nous tomber dessus sans que nous en sachions la raison. Les épreuves qui en résultent peuvent nous paralyser moralement, nous priver de toute prise sur le réel, nous séparer des êtres et de la vie, nous faire perdre le sommeil et le goût des choses. Ces épreuves, nous ne pouvons feindre de les ignorer ni, dans bien des cas, tenter de les surmonter, car elles se seront profondément « incrustées » sous notre peau. Certains vont succomber sous leur poids, d’autres en tireront des leçons utiles, d’autres encore y trouveront un chemin vers la gloire grâce à leur créativité, aux réalisations qu’ils auront accomplies ou simplement à la patience dont ils auront fait preuve.


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