Revue Spécialiséé Trimestrielle

La Flûte: Le Plus Ancien Des Instruments De La Musique Populaire Arabe

Issue 12
La Flûte:  Le Plus Ancien Des Instruments De La Musique Populaire Arabe

Mohammed Mahmoud Fayed (Egypte)

La flûte est considérée comme l’un des plus anciens instruments de la musique populaire. Elle a la particularité de faire du flûtiste le porte-parole de l’âme à travers son souffle qui émane des strates les plus profondes de l’âme. L’artiste populaire a tissé de nombreuses légendes autour de cet instrument, fabriqué à partir d’un roseau évidé, puis retravaillé selon un rituel porteur d’une charge dramatique qui confère sa sacralité à cet objet, simple dans sa forme mais complexe, au regard de ses potentialités musicales.

L’artiste populaire a également entouré cet instrument de faits et gestes qui lui donnent une valeur cultuelle et spirituelle qui vient s’ajouter à sa valeur historique et artistique.

La flûte a accompagné le chant sacré et le chant populaire ainsi que les hymnes au Prophète, les cercles de récitation du Coran, la célébration des anniversaires et bien d’autres cérémonies. Elle a toujours eu et continue d’avoir une place éminente dans les œuvres des compositeurs. Elle est partie du patrimoine culturel du peuple romain et a donné son emblème à la région entourée des monts Iocini, à l’ouest de la Roumanie.

La flûte est constituée de neuf nœuds, elle est percée de six trous alignés à la verticale et d’un trou à l’arrière, commandé au moyen du pouce. Il produit avec une très grande précision des sons d’un ton, d’un demi-ton et de trois-quarts de ton. C’est pour cette raison qu’il arrive que le musicien se serve de plus d’une flûte pour couvrir les différentes tonalités exigées par telle ou telle composition musicale. Ce roseau évidé est ouvert de part et d’autre ; les six trous qui se trouvent à l’avant sont divisés en deux groupes de trois chacun, légèrement éloignés l’un de l’autre ; un quatrième trou se trouve à l’arrière des trois du milieu de la flûte. Tous ces trous ont une ouverture qui est calculée selon des proportions arithmétiques correspondant à celles de l’échelle musicale arabe.

La flûte est considérée comme un symbole musical soufi. On sait peut-être que Raba’a al Adawya (morte en 185 de l’Hégire), martyre de l’amour de Dieu, composait des poésies, chantait et jouait de la flûte, instrument qu’elle préférait au ‘oud (luth arabe). Depuis le 13e siècle, la flûte a occupé une place centrale dans la musique soufie, depuis la fondation de la tariqa al moulawiya  (confrérie dédiée au Seigneur) par Jalaleddine al Rumî, le premier poète turc à avoir écrit des poèmes dans la langue de son pays. Al Rumî a diffusé ses idées à travers ses poésies en s’accompagnant de la flûte, qui a occupé chez lui une place importante. Il a composé un recueil de 25700 vers, appelé Al Muthennawi (Le Livre des louanges), consacré à l’unicité de Dieu et aux autres piliers de l’islam ; une partie importante de ses poésies a été dédiée à la flûte à laquelle il vouait une véritable passion. Ses disciples, les moulawiounes, eurent à leur tour recours à la flûte dans le développement de leurs idées, la considérant comme un instrument capable de révéler les secrets divins.

Le flûtiste était traité comme un véritable compositeur, et, seuls de tous les instrumentistes, les flûtistes pouvaient participer à un même orchestre afin d’enrichir la compositions musicales. Certains d’entre eux ont participé à des créations musicales, citons : Kunchek, Mustapha, Osman et Ismaël Deddeh, Sélim III, Saâdeddine Heyr, Saâdeddine Eyrl. Hamza Deddeh est considéré comme le plus célèbre des flûtistes soufis moulawis de la Turquie ; il vécut au 13e siècle et fut le compagnon de Jalaleddine al Rumî. Cette école de musique soufie passa ensuite en Egypte, avec la conquête ottomane, au début du 16e siècle, et prit ses quartiers dans les tekiyas (couvents de derviches) où l’art musical moulawi a prospéré jusqu’au milieu du 20e siècle. De là sortirent les plus grands flûtistes du pays qui imposèrent le style musical égyptien. Lors du Congrès de la musique arabe de 1932, un comité a été formé pour collecter et enregistrer les grandes œuvres, sous la direction de l’Allemand Robert Lachmann. Ce comité a pu recueillir neuf enregistrements de flûte, selon le rituel moulawi, et cinq autres jouées par des confréries al leithi de dhikr (invocation de Dieu), auprès du principal centre de tekiyas, au Jebel al jouyouch, près du Fort.

La flûte, qui est porteuse de potentialités musicales et rythmiques d’une extrême pureté, exige la plus grande adresse du joueur afin qu’il puisse arracher à cet instrument magique les belles tonalités qui y sont contenues. Mais seul l’effort persévérant permettra au flûtiste d’en percer tous les secrets.

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