Revue Spécialiséé Trimestrielle

LE RESIDU ORAL DANS L’ECRIT ETUDE SUR LE CONTE POPULAIRE DANS L’OASIS DE SIWA

Issue 10
LE RESIDU ORAL DANS L’ECRIT ETUDE SUR LE CONTE POPULAIRE DANS L’OASIS DE SIWA

que devient le texte oral lorsque changent les contextes de son énonciation et évoluent la posture du récepteur et la nature du public ? Et qu’en est-il du conte populaire en tant que texte oral, dès lors qu’il est reproduit et adapté par un écrivain – un homme de l’écrit ?

La multiplicité des contextes produit une multiplicité de textes, ainsi que le souligne Paul Zumthor. L’un des problèmes les plus importants aux yeux des spécialistes de la littérature orale est, sans doute, celui du repérage des changements introduits, au niveau des contenus, par l’adaptation ou la reproduction des genres littéraires populaires. Il s’agit, en d’autres termes, de mettre en lumière la dynamique du processus de passage entre ce qui est traditionnel (oral) et ce qui est adapté (écrit).

‘’Traditions ‘’ est le terme par excellence qui se rattache à l’idée de permanence, au plan du contenu axiomatique correspondant aux cadres référentiels plus larges qui se sont imposés à la pensée sociale du peuple – société rurales ou primitives –, qui sont à la base de ce conservatisme social et qui ont fait que l’on parle de « bastion des traditions opposées au changement ». L’adaptation écrite est, au contraire, connue comme totalement libérée des traditions quand bien même elle y prendrait appui.

Les deux expériences qui ont interpellé l’auteur et qui constituent des adaptations de contes populaires égyptiens sont celle de La Conteuse a dit… et celle menée par le centre français et allemand, à partir des contes populaires collectés dans l’oasis de Siwa. C’est cette dernière expérience – qui a fait l’objet d’un ouvrage intitulé Contes du désert, entre passé et présent : l’oasis de Siwa – que la présente étude prend pour exemple.

Pour ce qui est des études portant sur la question de l’adaptation, elles sont rares, elles aussi. On citera, notamment, les travaux de Saïd Yaktin publiées sous le titre de Le Roman et la tradition narrative, ainsi que ceux, récents, de Sayyed Dhifallah sur Les Mécanismes comparés de la narration orale et écrite, où une version de L’Epopée hilalienne publiée par le poète Fathy Suleïman est comparée au roman de Fathy Imbabi : Les Pâturages du meurtre.

La notion de « résidu conceptuel » que l’auteur de l’étude met à l’épreuve, ici, est empruntée à Walter Ong dans son ouvrage L’Oral et l’écrit. Ong met en lumière les principales caractéristiques de l’oralité qui se maintiennent dans le texte, alors que celui-ci est passé par le moule de l’écrit. Ong voulait, à travers l’identification de ces caractéristiques, expérimenter sa méthode sur des oeuvres relevant de la grande littérature, mais, dans le cas qui nous intéresse, c’est sur un genre littéraire bien précis – le conte populaire – et dans une région bien déterminée – l’oasis de Siwa, une des oasis du Sahara occidental égyptien où il a collecté la matière qui constitue son corpus de récits, en 2007 – qu’il tente de vérifier son approche. D’autres récits ont été également interrogés qui figurent dans le petit livre du Centre français et allemand sur le projet relatif à ces contes, mené également en 2007.

Le chercheur met en particulier l’accent sur le texte des contes, relatés en langue arabe et qui régressent graduellement, en raison du développement de l’enseignement, des moyens de communication moderne ainsi que du tourisme, et des séjours qu’effectuent dans l’oasis certains touristes qui essaient d’apprendre le dialecte des autochtones. Il s’efforce de déceler les transformations subies par les textes, à partir d’une analyse du mode narratif oral chez l’un des conteurs de l’endroit et d’une comparaison entre ce mode et celui adopté dans le texte écrit par l’une des deux auteur(e)s qui a construit de nouveaux récits en s’inspirant des contes de Siwa. Il met l’accent sur :

Le contexte de présentation du récit qui de nocturne (selon le rituel traditionnel) devient diurne, dès lors qu’il est transmis par la télévision, dans un cadre artificiel de communication. La fonctionnalité du récit qui vise à donner du plaisir et à apporter un enseignement à l’auditeur, dans un contexte d’oralité, mais donne la primauté à l’anecdote, à la satire et à l’endoctrinement (idéologique), dans le cadre de l’écrit.

La découverte de certaines techniques narratives, à partir de la comparaison entre les deux types de narration. La structure des contes et les significations que recèlent certains de leurs textes.

Ibrahim Abdulhafiz (Égypte)

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