MANIFESTATIONS CULTURELLES ET FONCTIONNALITE DU MOTIF DU HIBOU
Issue 6
L e hibou, en tant qu’oiseau de nuit par excellence, est classé comme un « oiseau brigand », un oiseau que l’on a bien du mal à apparenter à telle ou telle catégorie, car il est, si l’on peut dire, tout à la fois visible et invisible et constitue, de ce fait le socle vivant de tout un ensemble de représentations, légendes et récits chimériques qui ouvrent sur le monde nocturne avec tout ce que les ténèbres de la nuit peuvent donner à imaginer, avec tous les événements susceptibles de se dérouler au plus profond de l’obscurité, toutes les créatures qui errent dans les mystérieux replis de l’obscurité et dont le hibou serait, eu égard à l’influence maléfique qu’il est censé exercer, le parrain.
Le hibou est en effet un animal à part, en raison des forces qu’il représente et de celles dont il est le témoin ou le réceptacle. C’est ce qui apparaît clairement à travers les conjectures auxquels il a donné lieu, sur la base de travaux de dissection pratiqués sur lui, mais aussi à travers les valeurs que l’on a pu attribuer à ses différents organes, considérant, par exemple, l’oeil comme le siège de la puissance et de la domination et le coeur comme le force qui nourrit de l’intérieur cette volonté de puissance. Tout ce qui a trait au hibou, vu de l’intérieur ou de l’extérieur, vient corroborer les valeurs et les représentations qui ont cours dans le milieu social.
Le hibou est le conjoint du diable, son nom n’est pas prononcé parce qu’il est le gardien des ténèbres, dont il est aussi le maître, et c’est pour cette raison et pour la puissance qui est potentiellement en lui ou qui lui est attribuée, qu’il est traité avec cruauté. Cette puissance implique, si l’on a décidé de l’éliminer, que l’on y procède avec la plus grande célérité…
L’auteur tente, dans cette étude, d’apporter un bref éclairage à l’un des aspects de notre culture populaire vivante. Il part de l’idée que nous ne pouvons appréhender le monde dans lequel nous vivons qu’à travers certaines « gorgées » bien précises que nous « ingurgitons », dans des proportions variables, et ces « gorgées » nous les appelons tantôt légendes en donnant au mot un sens négatif, tantôt contes ou fables. Les contes les plus complexes relèvent non pas des milieux dits populaires mais de la culture savante. Car tout se passe comme si le conte ou la légende étaient l’autre sel dont nous usons pour goûter certaines choses et en évaluer d’autres, et qui nous permet soit de conjoindre soit de séparer diverses réalités, sur la base du « goût » que nous leur attribuons. Sans doute cela se passe-t-il dans notre esprit malgré le fait que l’on peut croire, ici et là, que ce que nous pensons est pure illusion et rien de plus. Mais peut-on éradiquer l’illusion qui est l’un des éléments de notre structure intellectuelle, sociale et culturelle ?
Ibrahim Mahmoud - Syrie