Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA COLLECTE DE LA POESIE ANTEISLAMIQUE ET DE LA POESIE NABATEENNE

Issue 6
LA COLLECTE DE LA POESIE ANTEISLAMIQUE ET DE LA POESIE NABATEENNE

d ’un mouvement de collecte de ces poésies. D’autres perspectives s’offrent aux études comparées entre les deux patrimoines poétiques, à partir du moment où l’on applique les acquis scientifiques réalisés à travers l’étude de l’un d’eux à l’étude de l’autre, notamment pour tout ce qui a trait à la poétique de l’oralité et aux questions d’authenticité, de plagiat ou de texte apocryphe.

Le problème se pose, à chaque fois qu’une nation passe de l’âge de la transmission orale à celui de l’écrit et s’attache à réunir tout ce qu’elle peut recueillir de son patrimoine oral. Souvent les débuts de ce mouvement de collecte et d’archivage sont timides et se limitent au texte nu, puis le processus se développe et se ramifie avec le temps. Car, plus les liens se distendent entre les formes culturelles du présent et celles du passé plus s’affirme le besoin d’accompagner les textes de commentaires, d’explications, d’informations géographiques, historiques, sociales, culturelles, linguistiques afin de faciliter l’accès à ces textes et de les rapprocher du récepteur.

L’auteur relève que la comparaison entre les conditions et les circonstances dans lesquelles la collecte de la poésie antéislamique a commencé, au cours du 2e siècle de l’Hégire, et celles qui ont présidé à la collecte de la poésie nabatéenne – qui s’est développée de façon notable, au siècle dernier – montre que, par-delà les grandes similitudes qui apparaissent entre les deux opérations, des différences existent auxquelles il faut rester attentif. On sait que l’écriture arabe ne s’est répandue et n’est devenue d’un accès facile qu’après l’arrivée de l’islam qui a encouragé l’apprentissage de la lecture et de l’écriture afin que se développent la lecture du coran et l’exégèse des textes sacrés.

On constate à cet égard que l’écriture a joué un certain rôle dans la conservation de la poésie nabatéenne, dès sa naissance et au cours des différentes étapes de son évolution, rôle qu’elle n’a pu assumer, s’agissant de la poésie antéislamique dont la collecte n’a commencé qu’à la fin de l’époque omeyyade. En un temps et dans des circonstances où les lettrés étaient peu nombreux et où seuls les grands, émirs, cheikhs, notables, riches, pouvaient disposer de scribes, il est fort probable que seules ont été consignées les poésies composées par ces hauts personnages ou dites en leur honneur par des poètes lettrés et appartenant à des milieux citadins. Pour les poésies des poètes illettrés et vivant dans les villages perdus et au fin fond de la campagne où l’on ne trouve ni scribe ni copiste, elles étaient vouées à tomber rapidement dans l’oubli et à s’effacer de la mémoire collective.

L’intérêt pour la poésie antéislamique repose essentiellement sur l’intérêt pour l’arabe littéral qui sert de support aux sciences de la charia et aux questions de la foi, des préceptes et rites de la religion que tout musulman se doit d’approfondir. Quant à la poésie et à l’ensemble des textes versifiés dans les dialectes locaux, ils sont regardés avec mépris quand ils ne sont pas condamnés, et ceux qui les étudient sont considérés avec circonspection, voire avec un sentiment de suspicion qui peut conduire à jeter le doute sur leurs intentions et leurs objectifs et à mettre en question leur appartenance et leur loyauté à l’égard de la nation arabe.

Beaucoup estiment que la poésie nabatéenne représente une forme de régression et constitue un élément de division sociale et de confusion politique autant qu’un facteur propre à réveiller les vieilles rancoeurs et à attiser les sectarismes. S’intéresser à cette poésie et en faire un objet d’étude ne peut, dans une telle optique, qu’être une entreprise vaine autant qu’absurde et qui ne peut en fait que générer le désordre, la discorde, les troubles parmi les tribus et dans les régions. Le mieux serait alors de l’enterrer et de laisser l’oubli l’ensevelir.

Saad Al Souyane - KSA

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