Revue Spécialiséé Trimestrielle

Textes poétiques chantés d’el fejiri

Issue 6
Textes poétiques chantés d’el fejiri

L ’étude souligne que la chanson populaire occupe une place éminente dans le patrimoine populaire bahreïni, dans la mesure où elle constitue l’une des exigences de la vie quotidienne de la société, dans ce pays. Elle est aussi, indubitablement, le reflet du niveau intellectuel de cette société, tant par ses structures linguistiques et littéraires que par sa cohésion rythmique et l’interaction du mot et de la phrase musicale.

Dans un environnement maritime où la majeure partie de la population vivait principalement de la plongée à la recherche des perles, pilier de toutes les activités économiques et sociales, les chansons liées à ce travail ont occupé une place essentielle dans la sensibilité collective. Le rythme des activités de plongée, en chaque mouvement qu’elle implique, a fait que la chanson était devenue un important facteur de solidarité, l’effort exigé trouvant par le chant un écho dans l’âme du travailleur. Les fatigues de l’épreuve s’en trouvaient allégées et les mots chantés avec toutes les significations profondes dont elles étaient porteuses donnaient à cet homme un sentiment de liesse qui dissipait les effets de la fatigue.

Beaucoup de chercheurs estiment que les chants de guerre ou ceux qui accompagnent les cérémonies de mariage ainsi que certaines chansons en rapport avec la pêche ou la moisson étaient liées, à l’origine, à des valeurs religieuses ou relevant de la magie et qu’elles étaient, dans leur essence, associées aux rituels d’exorcisme. De même, pouvons-nous noter que le travail, en particulier lorsqu’il a un caractère collectif impliquant une cohésion de l’effort, est le plus souvent accompagné de chants, en raison de l’apport concret de la musique aussi bien en tant qu’encouragement à l’effort que synchronisation des gestes exigée par la nature même du travail. C’est ce qu’on peut noter dans le cas du mouvement des rameurs dont le rythme ressemble à celui du chant. Il en va de même des battements de coeur de l’amoureux, de la scansion des coups de marteau ou de la marche des guerriers qui s’en vont au combat, tous mouvements qui tendent naturellement à renforcer le rythme et la prosodie des vers chantés.

La sensibilité populaire bahreïnie a fait que les formes musicales venues de l’extérieur n’ont pas été assimilées telles quelles. Il est certain que ces apports ont été réajustés et enrichis et que des suppressions ont été effectuées afin d’adapter ces formes à l’expression recherchée et de les accorder à la sensibilité et aux spécificités musicales du pays. La chanson populaire a en effet une tonalité nécessairement lyrique, elle est, en d’autres termes, d’une extrême subjectivité. En même temps, le sujet est traité avec le plus grand sérieux et la facture n’est pas celle de la chanson légère ou, du moins, celle de la légèreté qui témoigne du bonheur. Dans certaines chansons, on constate en effet un excès de manifestations mélodramatiques, tandis que d’autres sont marquées du sceau de la tragédie qui renvoie aux épreuves endurées par les individus.

Cette atmosphère se retrouve même, pour prendre un exemple, de façon évidente, dans les chansons du samar (veillées), dont on s’attendrait à ce qu’elles soient plus douces et apaisées, et dans celles du lfejri (le mot fejr signifie : l’aube). Même si la chanson populaire est dans une large mesure une chanson sentimentale, accordant une place éminente au sentiment amoureux, la sensibilité qui s’y exprime se caractérise par sa simplicité, on n’y trouve guère ce qui relève communément du « problématique » ou du « conflictuel ». L’auteur met en particulier l’accent sur les chansons dites du lfejri qui sont de tous les arts du samar collectif, si typiques de l’environnement maritime de la région du Golfe arabe et de la Presqu’île arabique, ceux qui sont les plus liés à la vie des travailleurs de la mer.

Nul doute que les arts du lfejri ne se rattachent à des manifestions artistiques très anciennes héritées des plus anciennes civilisations qui se sont succédée dans la région. Le lfejri est né et s’est développé en même temps que voyait le jour, voilà des milliers d’années, la pêche aux perles dans les profondeurs océaniques. On peut présumer que ces chansons sont apparues spontanément, l’homme primitif ne connaissant pas de poésie autre que celle qui était chantée et qui avait, habituellement, une fonction magique, étant liée aux mouvements rythmiques du corps. Poésie simple – autant que l’était cet homme dans son comportement et dans son adaptation au milieu – et qui avait ensuite évolué progressivement jusqu’à prendre la forme que nous lui connaissons aujourd’hui et devenir une des composantes de la structure mentale et affective du peuple.

L’auteur met en lumière les formes poétiques chantées ainsi que les particularités artistiques et thématiques du lfejri, qu’il s’agisse d’exprimer l’espoir ou le désespoir, l’abandon ou les retrouvailles, la patience et l’endurance ou l’impatience et le découragement.

ALI ABDALLAH KHALIFA - Bahreïn

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