Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA STRUCTURE ET LES SPÉCIFICITÉS ARTISTIQUES DU RÉCIT DANS LA LITTÉRATURE POPULAIRE DU GOLFE ARABE

Issue 56
LA STRUCTURE ET LES SPÉCIFICITÉS ARTISTIQUES DU RÉCIT DANS LA LITTÉRATURE POPULAIRE DU GOLFE ARABE

Dr Houssam Rached Al Ahmed

La littérature populaire dans la région du Golfe arabe est riche en contes et personnages, le désert étant un lieu propice à l’invention des fables et des légendes, et le bédouin passionné de veillées nocturnes où les convives font cercle autour du feu pour donner libre cours à des narrations puisées dans leurs souvenirs ou fruits de leur imagination. 

Les contes produits par les gens du désert se distinguent de la littérature populaire en général par la nature de leurs personnages et la spécificité de leur contenu narratif. Une partie des personnages portent en effet des noms ou des appellations qui renvoient à la fonction pour laquelle ils ont été inventés. Ce sont en effet des personnages légendaires dotés d’une fonctionnalité, sans être pour autant liés à un moment historique précis. On pensera à Abu Dirâya (l’homme qui en sait beaucoup), Al Jathum (l’immobile), Abu Maghwy (celui qui séduit), al Daid’a (celui qui se dandine) … 

Pour le contenu, nous avons constaté que la plupart des histoires et contes du Golfe arabe, tournent autour de la défense faite aux enfants, aux femmes ou aux hommes de commettre telle ou telle action. Nous avons également constaté à quel point les femmes participaient à la création du conte et fable populaires du Golfe.

Pour les histoires et légendes héroïques, elles ont pour thème central la glorification des valeurs du bien, du vrai et du beau. 

Il nous est en outre apparu que le conte populaire dans la région du Golfe arabe est riche en symboles et en paroles de sagesse et nous donne une vision exhaustive de l’humain. Le conte aborde en effet la totalité des aspects de la vie, sa grande richesse et la multiplicité de ses genres et ramifications font de sa préservation un devoir national exigeant la conjugaison des efforts tant individuels qu’institutionnels. Le meilleur témoignage en est cette belle entreprise collective couronnée par la publication de L’Encyclopédie des contes populaires bahreïnis : mille et un contes. Cette œuvre fut élaborée, coordonnée et rédigée par Mme le Dr Dhia al Kaabi sur la base d’une idée du poète bahreïni Ali Abdalla Khalifa qui a attiré l’attention du Dr al Kaabi, spécialiste en textes narratifs, sur l’absence d’un ouvrage réunissant les contes populaires de Bahreïn en dépit de la richesse, de la diversité et de la grande inventivité de ces récits. Le poète a en même temps souligné la nécessité de consigner les contes populaires de ce pays dans les dialectes populaires qui y figurent oralement sans chercher à les transcrire en arabe littéral, de sorte que soit préservé leur caractère populaire oral. 

La suggestion du poète Ali Abdalla Khalifa, conjuguée aux efforts de Mme le Dr Kaabi, au soutien de l’institution de La Culture populaire pour les études, la recherche et la publication et à la coopération de l’Organisation internationale de l’art populaire (IOV) avec l’Université de Bahreïn, a abouti à cette Encyclopédie qui représente aujourd’hui le plus grand ensemble narratif populaire à l’échelle du monde arabe. La réalisation de cette œuvre magistrale a nécessité la contribution d’un grand nombre de professeurs, étudiants, intellectuels et chercheurs spécialistes du patrimoine et du folklore populaire qui ont travaillé d’arrache-pied pendant toute une décennie. Cent étudiantes et étudiants ont notamment œuvré au dépouillement, à la consignation et à l’établissement de ces récits populaires auprès de 1200 narratrices et narrateurs âgés de 50 à 80 ans, vivant dans les villes et les villages de Bahreïn.

Il ne fait aucun doute que l’école doit se placer au premier rang des institutions appelées à s’occuper de la littérature populaire, les programmes d’enseignement devant comporter nécessairement un nombre consistant de textes de la littérature populaire. Celle-ci a en effet pour fonction de préserver l’identité nationale et de promouvoir les valeurs patrimoniales auprès des jeunes. Il est en outre certain que les jeunes eux-mêmes adhèrent bien plus facilement aux enseignements et paroles de sagesse lorsque ceux-ci sont transmis par le moyen des œuvres littéraires, et en particulier de la poésie, des proverbes et du récit que lorsqu’ils les reçoivent sous forme d’ordres ou de recommandations prêtes à l’emploi. Qui plus est, l’une des principales caractéristiques de la littérature populaire est son attractivité qui fait, notamment, que les enfants s’y reconnaissent davantage que dans les œuvres « sérieuses », car cette littérature est plus proche de leurs pratiques linguistiques au quotidien et leur propose des images artistiques qui parlent à leur âme. Aussi devons-nous faire fonds sur ce type de texte pour jeter les bases d’une éducation artistique et d’une vision globale du monde qui serait pour les enfants un tremplin pour se lancer sur la voie de la créativité.

En plus, le patrimoine littéraire populaire doit être considéré comme une composante de l’identité nationale – celle du pays et celle de la nation arabe – qu’il nous incombe de défendre. La littérature populaire, et en particulier le conte, est de nature à servir de stimulant pour que soient surmontées les difficultés et enracinée la vertu au sein des sociétés, notamment chez les enfants, en raison des valeurs de vérité, de noblesse, d’effort sur le chemin de la réussite que cette littérature fait valoir. 

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