POUR UN RETOUR PAR LA MÉMOIRE SUR LES LEÇONS ET LES DONNÉES À RETENIR
Issue 51
Un éminent universitaire – qui venait à peine d’être nommé responsable d’un nouveau secteur ou département officiel en charge de collecter le patrimoine populaire de son pays – est dernièrement entré en contact avec notre revue pour nous demander par où et de quelle façon entamer sa mission. Il voulait également savoir s’il existait des guides ou des publications qui pourraient l’aider à éviter d’éventuelles erreurs de débutant. Il nous appelait, en outre, à lui proposer des noms d’experts dans les domaines qui pourraient l’aider dans ce départ, tout en exprimant le souhait que des spécialistes de la science du folklore puissent s’occuper directement des aspects techniques de cette mission afin qu’il puisse se consacrer au volet administratif du travail.
Autant notre joie a été grande de voir un pays arabe se préoccuper de nouveau de la culture populaire et créer une structure administrative pour en assurer la gestion, en nommant à sa tête un universitaire, autant nous mesurons le poids de la responsabilité que doit assumer ce jeune appelé à accomplir un redoutable travail sur le terrain qui pourrait ne pas être de sa compétence ou ne pas relever de ses projets académiques. En même temps, nous avons été sensibles aux scrupules qu’il a manifestés et à son attachement à prendre les bonnes décisions pour mener à bien une tâche dont la conception est liée à une science des plus hautes, adossée à de nombreux secteurs des sciences humaines.
Cette requête nous amena à nous remémorer les premiers pas que nous eûmes à accomplir dans les différents domaines de la collecte sur le terrain de la matière patrimoniale. Nous revînmes en esprit à des leçons, à des titres et à des références, nous ressouvenant de noms de savants, de chercheurs, d’universitaires opérant sur le terrain, mais aussi de guides et d’informateurs. En même temps, nous revécûmes toutes les circonstances, problèmes, interventions à l’échelon local et considérations d’ordre personnel qui sont liés à chacun des environnements arabes.
Il est bien évident que chaque domaine a ses spécificités et se trouve confronté à des problèmes en rapport avec des particularités locales qui peuvent à tout moment mettre en échec les efforts les plus soutenus. Mais c’est encore plus net lorsqu’il s’agit de cette culture populaire dont la plupart des personnes s’attribuent la possession et le droit de décider de son destin, alors que c’est un domaine où le travail n’exige rien d’autre que la loyauté devant Dieu et la patrie. S’il devait s’y mêler le clientélisme, les calculs mercantiles et les rivalités mesquines pour les postes ou les prébendes, on ne récolterait que les revers et les échecs, comme nous avons pu le voir dans la plupart des pays arabes, et comme nous ne cessons – hélas ! – de le constater à chaque jour qui passe.
Il existe un nombre considérable d’écrits théoriques sur la science du folklore et les sciences humaines y afférentes que les pionniers nous ont légués et qui sont venus enrichir les bibliothèques. Mais les guides scientifiques crédibles qui aident à assimiler les fondements de la collecte sur le terrain, les règles de travail avec les rapporteurs et les informateurs ainsi que les méthodes d’enregistrement de la matière sur les lieux et à la lumière des mutations, évolutions et développements technologiques sont en fait presque introuvables. Le monde a dépassé depuis fort longtemps l’étape de la collecte et du collationnement, mais, pour ce qui nous concerne, rien n’est plus important que de commencer par constituer une équipe de collecte sur le terrain à l’échelle locale qui bénéficierait de sessions de formation méthodique, sous la direction d’experts dans le domaine, tout en recrutant des chercheurs locaux concernés par le sujet qui seraient motivés pour travailler sur le terrain.
Il est également de notre devoir de prendre conscience des changements qui affectent de temps à autre la matière patrimoniale. Car il s’agit d’une matière vivante qui est transmise de façon consensuelle d’une génération à l’autre, mais où les transmetteurs introduisent, selon les circonstances, des ajouts et des changements. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous parlons de matière vivante en constante mutation. Ce qui a été collecté, pour prendre un exemple, au cours des années cinquante du siècle dernier n’est pas exactement ce qui l’a été dans les années soixante-dix, si bien que ce que nous essayons de faire aujourd’hui est de capter les résidus provenant de la forme originale de cette matière. Mais c’est, au fond, peu de chose, dès lors que la collecte est faite selon une démarche scientifique rigoureuse.
Quatre ouvrages importants ont été publiés par le Centre du patrimoine des États arabes du Golfe lorsqu’il a entamé sa mission au début des années quatre-vingts du siècle dernier. Ils figurent dans toutes les bibliothèques nationales des pays membres du Conseil de coopération des États Arabes du Golfe, et recèlent un ensemble de recherches et de documents de travail présentés par des experts venus d’Orient et d’Occident, dans le cadre de quatre colloques internationaux organisés par le Centre sous le titre de : Colloques en vue de planifier, de consigner, d’établir et de conserver le patrimoine populaire. Ces travaux ont été adoptés sur une vaste échelle en tant que méthode scientifique visant à définir les concepts, la terminologie, les théories et les approches en matière de collecte, consignation, classification et documentation des quatre principaux axes du patrimoine populaire arabe, à savoir la littérature populaire qui comprend les contes, poésies, strophes musicales, mawels et proverbes ; la musique, le chant, les jeux et les prestations scéniques ; les coutumes, les traditions et les croyances ; enfin, la culture matérielle : artisanat et arts et métiers traditionnels. Ces quatre axes se répartissent entre milieux agricoles ou désertiques, milieux marins ou côtiers, milieux ruraux ou montagnards. S’y est ajouté dernièrement le milieu urbain.
Beaucoup doit encore être dit en ce qui concerne l’entame du travail de collecte sur le terrain de la matière patrimoniale, mais le plus important est d’insister sur la nécessité que ce soit les enfants de telle région qui se chargent de collecter la matière propre à leur région en étant encadrés par des spécialistes. Il faut également éviter de rétribuer les rapporteurs afin que la matière narrée ne devienne pas une marchandise qui se vend et s’achète. C’est là en effet l’une des graves erreurs qui ont affecté certains travaux antérieurs.
Que Dieu vous vienne en aide, cher universitaire. Nous sommes de tout cœur avec vous, et nos prières vous accompagnent pour la réussite de votre parcours. LA CULTURE POPULAIRE pour les études, les recherches et les publications au Royaume de Bahreïn sera toujours à vos côtés pour vous apporter toute l’aide possible. Il reste que Dieu est seul garant du succès.
Ali Abdulla Khalifa
Chef de la rédaction