LA “NOUVELLE” CHANSON POPULAIRE EN TUNISIE ET LA MODERNISATION DE LA SOCIETE AU LENDEMAIN DE L’INDEPENDANCE Etude documentaire
Issue 36
Mohamed Dridi
Tunisie
Considérations générales sur la «nouvelle» chanson populaire en Tunisie :
Il ressort, pour l’essentiel, de cette étude documentaire sur la «nouvelle» chanson populaire en Tunisie que :
• la «nouvelle» chanson populaire tunisienne a été marquée, au milieu du XXe siècle, par les orientations du jeune Etat qui a vu dans la modernisation de la société le moyen de sortir le pays des vieilles traditions qui entravaient son développement économique, social et culturel;
• la pouvoir a parié sur l’impact des moyens audiovisuels (la radio, en particulier) sur la population pour intéresser les gens à la politique de l’Etat moderne afin de faire progressivement adhérer le citoyen au nouveau modèle social qu’il tentait de construire;
• les artistes populaires, chanteurs, poètes et compositeurs, se sont inscrits dans le nouveau système de production des chansons populaires qui était porteur d’un message de sensibilisation aux réformes mises en œuvre, voire de célébration de la politique de l’Etat qui était alors symbolisé par la personne du président ; c’était le seul moyen pour ces artistes de s’affirmer sur la scène culturelle en faisant connaître leurs œuvres à travers les différents programmes radiophoniques, et en particulier celui de la Radio nationale appelé Gafla tssir (une caravane en marche) qui était diffusé dans toutes les régions de la république;
• l’impact politique de ces nouvelles chansons populaires a servi à enraciner dans les milieux populaires le nouveau modèle politique tunisien, fondé sur le système républicain proclamé au 25 Juillet 1957 sur les décombres du système beylical (système monarchique dont le souverain était un bey dépendant historiquement du Sultanat ottoman qui présida depuis le XVIIIe siècle aux destinées du pays); la plupart des nouvelles chansons populaires furent alors consacrées à la glorification du président qui était le symbole de l’Etat, source d’inspiration des idées progressistes et réformistes pour lesquelles ces chansons ont été créées, en une totale symbiose entre l’Etat et la personne du Chef, ainsi que l’a clairement reconnu le Président Habib Bourguiba dans de nombreux discours publics, et jusque dans les séries télévisées à caractère éducatif intitulées «Des recommandations du Président» où le chef de l’Etat n’hésitait pas à reprendre le mot de Louis XIV «l’Etat c’est moi».
• pour sensibiliser et «éduquer» le peuple mais aussi pour présenter une alternative sociale, politique et économique, l’Etat s’est servi de façon presque exclusive des nouvelles chansons populaires qui étaient fondées pour l’essentiel sur le système de la poésie populaire dont les principaux piliers étaient el mouguef (idée de prise de position), el guessim (idée de partage), el melzuma (idée d’engagement) et el musaddas (le sizain), ainsi que sur le système musical bédouin avec toutes ses particularités rythmiques, mélodiques, vocales (le chant) et musicales (la performance instrumentale); deux considérations ont présidé à un tel choix: premièrement: le goût du public qui était, à cette époque, profondément orienté par l’attachement aux deux systèmes poétique et musical populaires; deuxièmement: les producteurs de la radio, alors soumise à l’autorité et au contrôle de l’Etat, qui veillaient à produire des chansons à vocation réformiste et pédagogique destinées à la masse du peuple et conformes au goût du chef de l’Etat, lequel avait déclaré dans une interview à la presse, en 1955: «J’aime la musique orientale et bédouine, quant à la musique occidentale et moderne, je n’y comprends rien».
L’auteur s’est limité dans cette brève étude à documenter quelques exemples de «nouvelles» chansons populaires produites en Tunisie dans le cadre du système radiophonique dont l’Etat avait fait son monopole dans le but d’ancrer le modèle social, économique, politique et idéologique que l’on œuvrait à mettre en place pour l’édification de l’Etat moderne, au lendemain de l’indépendance. Il importe de noter que la plupart de ces «nouvelles» chansons populaires qui étaient conservées dans les réserves sonores de l’Organisme de la radiotélévision nationale ont été détruites sous le prétexte qu’elles ne correspondaient plus aux exigences de l’époque, les objectifs et finalités pour lesquelles elles furent conçues ayant été dépassés par les événements.