UNE INTRODUCTION A LA COMPREHENSION DE DEUX ARTS DU SAWT Deux termes, deux significations et deux approches de la pratique musicale, entre le Golfe arabe et la Tunisie
Issue 33
L’idée d’écrire sur « l’art du sawt (la voix – la voix par excellence) », en général, est née des nombreuses études et recherches sur cette très ancienne pratique musicale que nous avons consultées, ainsi que des nombreux points de détail, des aspects infimes mais importants que nous avons relevés concernant cet art et qui sont de nature à nous inciter à réécrire une partie de l’histoire du paysage musical arabe.
Cette étude porte sur « l’art du sawt » dans deux aires géographiques séparées par des milliers de kilomètres mais sans doute proches par des pratiques artistiques qui font disparaître la notion de distance, au sens spatial. Ces deux aires sont :
- La Tunisie : que l’auteur aborde, en tant que musicologue, à partir d’une étude sur le terrain.
- Le Golfe arabe, en général, et plus précisément, le Bahreïn, le Koweït et le Yémen, que l’auteur étudie à partir de diverses recherches ainsi que d’une enquête sur le terrain à l’instar de celle, très vaste, que Paul Rufseng Olsen a menée au Bahreïn.
La présente étude a notamment pour but de mettre en lumière les différences entre les deux arts du sawt, tels qu’ils se rencontrent dans la région du Golfe arabe et sur le territoire tunisien. L’auteur se penche sur les significations du terme sawt avant d’examiner les pratiques musicales avec leurs arrière-plans sociologiques, économiques et psychologiques.
En premier lieu, il note qu’en Tunisie le terme n’est pas perçu de façon claire, y compris par certains chercheurs en musicologie, car l’art du sawt se limite à quelques régions de ce pays. Relevant du patrimoine musical populaire des bédouins, il fait en outre l’objet d’un véritable ostracisme, sur le plan universitaire et dans les programmes d’enseignement officiels, et cela pour diverses raisons dont, notamment :
- l’option politique dont les tenants qui ne voient dans la culture populaire – par-delà ses divers moyens d’expression patrimoniale, musique comprise – que les composantes de l’identité et de l’authenticité qui sont susceptibles de servir le discours politique dans les forums internationaux. Ce discours est, de fait, double dans sa finalité : on nous ressasse ad nauseum l’antienne de l’identité et de l’authenticité, mais dès que les rendez-vous officiels prennent fin et que les beaux habits sont rangés au placard, tout est oublié.
- L’incapacité à comprendre l’essence de cette musique dans ses multiples dimensions, significations et symboles, eu égard à sa complexité et à son évolution hors des cadres de la musique traditionnelle « officielle ».
- L’incapacité de l’institution universitaire, avec ses différents mécanismes, à accueillir les pratiques artistiques fondées sur l’oralité et, plus généralement les traditions à caractère oral, l’institution ayant – peut-être de façon inconsciente – tendance à rechercher, en toute circonstance le document et la trace écrite, ignorant la valeur du versant oral de pratiques musicales sans lesquelles, pourtant, l’art ne peut ni avancer ni devenir un moyen de communication. Et c’est ainsi que l’on tombe dans le jeu gratuit qui consiste à documenter un art sans en comprendre la pratique ni la signification ou la portée esthétique, en le replaçant dans son cadre géographique et socio-psychologique originel.
D’un autre côté, la perception du sawt dans la région du Golfe arabe paraît plus claire, tant au niveau des significations que de la pratique, ainsi que le montrent les différentes études consacrées à la question et auxquelles on ne saurait comparer, que ce soit par la qualité ou par le nombre, les études similaires que l’on trouve en Tunisie.