LES HILALIENS : de la sîra (chronique) au théâtre
Issue 33
Abdurrahmane Al Chafai
Le Dr Abdulhamid Yunes, Professeur de littérature populaire à l’Université du Caire, note, dans sa thèse de doctorat sur l’histoire des Bani Hîlal (les Hilaliens) que le premier fil narratif sérieux, pour ce qui est de l’histoire de ce peuple, le fil qui a permis de regrouper les informations et les événements relatifs à cette période, se trouve dans L’Histoire et Les Prolégomènes d’Ibn Khaldun. Le grand historien a en effet essayé de recueillir de la bouche de certains de ses contemporains, qui étaient parmi les derniers descendants des Hilaliens, le récit de cette migration collective qui a conduit ce peuple jusqu’en Afrique du nord. Le Dr Yunes poursuit en affirmant que les chroniques des Arabes (ayam el arab) n’étaient pas chez ceux qui en assuraient la transmission des contes imaginaires ou de simples récits pour les longues veillées, mais une histoire collective des tribus et de leurs nombreuses ramifications généalogiques, aux époques antéislamiques et au temps de l’Islam. Certaines de ces chroniques témoignent en fait d’un parti-pris d’ordre tribal, d’autres d’une vision ethnique partisane. Les mêmes traits se retrouvent dans les sîra (chroniques) populaires, de façon générale, et dans la sîra des Bani Hîlal, en particulier. En effet, quelles que soient la nature du récit, les traditions narratives sur lesquelles le chroniqueur prend appui ou les libertés qu’il prend – dans des limites toujours étroites – avec les faits, la représentation du peuple demeure chez lui aussi proche que possible de l’histoire des peuples. Il ne fait donc pas de doute que la chronique s’est d’abord fondée sur la réalité historique qu’elle a, consciemment ou inconsciemment, produite laissant ensuite la bride à l’imagination pour réécrire les événements et redessiner le portrait des acteurs. Sauf que le travail de l’imagination était assujetti à la sensibilité du groupe et influencé par sa volonté de raviver l’instinct de la lutte et de la résistance et de mettre en valeur les vertus qui distinguent, aux yeux du chroniqueur, les Arabes des autres nations. Comme la sîra hilalienne a d’abord été le récit d’une tribu ou d’un ensemble de tribus qui s’étaient rangées sous la bannière des Bani Hîlal, la vérité historique repose sur deux bases :
- Premièrement : l’arbre généalogique qui remonte à Hîlal ibn Ameur puis se ramifie dans les trois branches – les Athbej, les Ryah et les Zoghba – dont se réclament les trois héros de cette sîra: Serhane, Rezeg et Ghanem.
- Deuxièmement : le mouvement qui a conduit la tribu vers l’ouest et son expansion à travers l’Afrique du nord.
Le Dr Yunes poursuit en ces termes, dans son ouvrage pionnier sur les Hilaliens : « Six siècles sont passés pendant lesquels les Arabes ont continué à chanter les hauts faits consignés dans la chronique hilalienne et les vertus de ses héros. Cette célébration de la fameuse sîra ne relevait pas du simple plaisir d’animer les veillées nocturnes, elle était motivée par un souci plus noble et fondamental lié à l’opinion que se faisait l’individu de lui-même et de sa oummah (nation) car ce sont les vertus de la nation arabe et les autres qualités qui lui ont permis d’affirmer et de préserver son existence. Pourtant, les hommes de lettres et les historiens ont, des siècles durant, négligé cette sîra jusqu’à ce que le grand maître de l’histoire et des lettres arabes, Ibn Khaldun (mort au IXe siècle de l’Hégire), vînt à consigner certains des textes de cette chronique et que les savants qui avaient accompagné la campagne de Bonaparte en Egypte se fussent chargés d’enregistrer les modes sur lesquels elle était récitée. »
Edward Dalen a également enregistré certaines strophes du poète de la Sîra hilalienne relatives aux us et coutumes des Egyptiens. Claude Becque se réfère à cette chronique dans son ouvrage Un aperçu général sur l’Egypte, et souligne la passion avec laquelle les Egyptiens écoutaient ce récit.
La sîra se divise, sur les plans historique et géographique, en trois grands moments :
Le premier : Le Yémen où les Bani Hîlal voient le jour.
Le deuxième : Les Hilaliens à Nedjd
Le troisième : Les Hilaliens en route vers l’Afrique du nord (plus précisément vers l’actuelle Tunisie)
Trois générations se succèdent également :
La première génération : celle des pères qui commence avec Hîlal et se termine avec Serhane, Rezeg et Ghanem.
La deuxième génération : celle qui occupe l’épisode le plus important de la sîra, celle des héros : Hassan, Abou Zid, Diab et Al Jazia.
La troisième génération : celle des fils que les auteurs de la sîra appellent habituellement les « orphelins ».