Revue Spécialiséé Trimestrielle

POUR UN RENOUVELLEMENT METHODOLOGIQUE DE LA DOCUMENTATION DU PATRIMOINE IMMATERIEL

Issue 32
POUR UN RENOUVELLEMENT METHODOLOGIQUE DE LA DOCUMENTATION DU PATRIMOINE IMMATERIEL

Tarek El Melki
Maroc

La prise de conscience, au cours de la dernière décennie, de la nécessité de préserver le patrimoine culturel immatériel a constitué un nouveau tournant dans le développement de la connaissance du patrimoine, tant au niveau de la documentation que de la prise en charge proprement dite.
 Cette prise de conscience a pris deux formes :
•    Une forme juridique qui s’est concrétisée par la ratification par les Etats arabes, en 2003, de la Convention sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, suivie par l’adoption de législations locales consacrant la place de la composante immatérielle de l’identité.
•    Une forme pratique à travers la création d’institutions gouvernementales et non gouvernementales chargées de documenter et de conserver l’héritage populaire à l’instar de celles qui sont en charge de l’architecture et des bâtiments.
Ce nouvel élan est resté, malgré tout, insuffisant:
un ancrage philosophique s’imposait en effet pour encadrer un processus de documentation susceptible d’entraîner de véritables catastrophes et de causer des dégâts irréparables à l’héritage culturel.
L’étude vise à jeter les bases d’une méthodologie de la documentation en partant des données suivantes :
•    Le patrimoine populaire, quelle qu’en soit la nature (croyances, us et coutumes, récits oraux...), n’est qu’un ensemble de pratiques culturelles : la confusion entre le patrimoine perçu, d’un côté, comme un produit culturel, et, d’un autre côté, comme une accumulation d’objets muséologiques, a conduit à l’altération et au fractionnement de cet héritage.
•    Ceux qui œuvrent à la documentation du patrimoine, individus et institutions, se sont armés d’une méthodologie dépourvue de toute mise en contexte et privilégiant une vision fragmentaire qui a enfermé le patrimoine dans un ensemble d’éléments matériels inertes et dévitalisés ; face à cette anomalie et dans le souci de redresser la situation, la Convention sur la sauvegarde du patrimoine a été adoptée en vue de promouvoir une nouvelle conception de la gestion du patrimoine, fondée sur un réseau de relations interdépendantes au service de l’action patrimoniale.
•    Les systèmes traditionnels de documentation ont longtemps documenté, préservé et classé les œuvres culturelles en rapport avec le patrimoine, au moyen de la création de musées témoignant d’une vision figée de cet héritage; face à cette démarche statique, de nombreuses organisations gouvernementales ont ouvert des musées vivants que les textes de l’UNESCO appellent les trésors vivants de l’humanité; ces musées se fondent sur le principe que c’est le porteur du patrimoine qui est l’élément axial qu’il convient de préserver et non les objets ou récits qu’il produit.
•    Partant d’une perception  "en contexte" du patrimoine, appréhendé en tant que phénomène culturel multidimensionnel (historique, géographique, ethnique…), il est possible d’inventer un concept ad hoc, celui de la documentation vivante par opposition à la documentation morte.
La méthodologie de la recherche que nous appelons de nos vœux s’appuie sur des études américaines et canadiennes pionnières dans ce domaine, notamment celles de l’Ecole contextuelle que représentent Charles Jones (Etats-Unis) et Jean Duberger (Canada). Ce dernier a élaboré un réseau des pratiques culturelles qui a largement tiré profit de la linguistique de la communication et des recherches anthropologiques, et permis de développer une nouvelle approche du patrimoine, considéré comme un ensemble de pratiques culturelles, par opposition au patrimoine momifié et enfermé dans des structures muséologiques.

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