LA HADHRA SOUFIE CHEZ LES PARTISANS DE LA TARIQA KHALOUTIA JOUDIA (l’exemple du village de Nazlet al Mcharqa)
Issue 31
Égypte
L' origine de la tariqa (confrérie) khaloutia joudia est attribuée au cheikh Mohammed al Khalouti ; certains parlent également de la kholwa (période, cellule d’isolement) soufie. Ellea été introduite en Egypte par le Cheikh Mustapha Kameleddine al Bakri et aurait de nombreuses branches tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Egypte, dont l’une est la tariqa joudia. Le Cheikh Amine Abdallah dit que « la joudia est ajout et non origine ». Le mot se réfère au Cheikh Jouda Abd al Muta’al dont le nom renvoie de nombreux savants connus, dont, notamment, le Cheikh al Bakri qui introduisit ladite tariqa en Egypte, le Cheikh Omar Suhrawardi, le chef de doctrine Abu al Qassim al Junayd, Assirri As-saqti, M’aruf al Karkhi, Widad Attaî, Hassan al Basri...
L’auteur a entendu, un jour, son père dire que l’endroit a été nommé Nezlet al Mcharqa parce qu’un groupe venu d’Arabie s’y serait installé, en proclamant : nous sommes descendus (nezelna), ici, ce qui a donné nezlet (l’autre partie du nom, al Mcharqa, désignant ceux qui sont venu de l’est, de l’Arabie). Il s’agit d’un ”des villages du district d’Ahnassia, à l’ouest du gouvernorat de Beni Souf, en République d’Egypte, un village qui comptait, au 1/1/2013, environ 5258 habitants“. C’est un petit village, agricole au premier chef, mais où la civilisation et l’état civil ont fait leur apparition, de longue date, on y trouve d’ailleurs des écoles, des lieux de culte, une antenne médicale et un centre sportif pour les jeunes. Beaucoup de ces jeunes ont émigré vers les pays arabes en quête d’emploi, d’autres sont dans la fonction publique ou à la tête de petites entreprises qui leur assurent au mieux la subsistance, mais, dans la plupart des cas, ils sont au chômage. Un village qui ressemble par son organisation et son rythme de vie à la majorité des villages égyptiens.
L’étude est un exposé descriptif, issu d’une recherche sur le terrain. L’auteur tente de comprendre et d’analyser les rites observés. Mais, à chaque fois qu’il a voulu s’entretenir, à titre personnel, avec les mouridine (les soufis en quête de Dieu) il s’est heurté :
1. au silence et au refus de toute révélation; la perception intérieure ou les sciences ésotériques que le fidèle reçoit en récompense de son engagement sincère à respecter les enseignements soufis sont autant de secrets qu’il n’est pas permis de confier aux autres – ce qui fait que le chercheur se trouve dans l’incapacité de mener sa mission à son terme;
2. à l’insistance des mouridine sur le total respect des protocoles de la hadhra, ce qui oblige le chercheur à passer sous silence l’habit spécifique à cette cérémonie et le couvre- chef propre au dhikr (évocation psalmodiée du nom de Dieu);
3. au vide laissé par la mort des grands maîtres de la tariqa et à la rareté des nouveaux adeptes – ce qui expose l’existence même de la tariqa khaloutia dans le village à la disparition, outre l’absence de toute information sur de nombreux rites et manifestations, aujourd’hui abandonnés par les villageois;
4. à la hadhra elle-même qui recèle des secrets que seul l’initié peut connaître car il s’agit d’enseignements intériorisés que nul ne peut observer de l’extérieur.
La hadhra vient d’al houdhour :
ce qui est proche (littéralement : la présence, qui est aussi l’un des sens du mot) ; il s’agit d’un état émotionnel ressenti par celui qui « arpente le chemin », elle contient les sémantismes de la révérence, du renoncement, de la disponibilité intérieure, au moment du dhikr, qui ouvre au soufi la voie du salut. Un tel état est en fait accessible à toute personne sincère lorsqu’elle accomplit les différents rites figurant dans la charia, comme le jeûne, la prière, le pèlerinage de la Mecque ou, plus généralement, l’invocation (le dhikr) de Dieu. Cet état découle également de certains de ces halaqat dhikr (cercles d’invocation et de psalmodie) si connus chez les soufis et qui sont devenus la marque du soufisme plus que de tout autre confrérie. Ces halaqat comportent la récitation du Coran, la psalmodie des madaîh (hymnes, hommages au Prophète) accompagnée de transes et d’autres gestuelles propres aux mouridine. Elles constituent l’un des rites suivis par les tariqa soufies qui se sont établies aujourd’hui en Egypte et dans certains pays arabes. Les adeptes de la tariqa se réunissent de façon régulière, à une date bien déterminée, et forment des halaqat afin d’accomplir le dhikr (accompagné ou non d’une certaine gestuelle) et de réciter les invocations et les hizb (soixantième partie du Coran) élus par leur tariqa. Les invocations peuvent être linguistiquement liées au houdhour (présence solennelle) des mouridine qui se trouvent rassemblés en un même lieu, comme elles peuvent témoigner de la croyance au houdhour sur les lieux des âmes des saints disparus ou de l’âme du Prophète, lors de l’accomplissement du rite.