Revue Spécialiséé Trimestrielle

L’IMMEUBLE D’HABITATION DANS LES VIEILLES VILLES TUNISIENNES : L’EXEMPLE DE SFAX UNE APPROCHE CULTURELLE ET URBANISTIQUE

Issue 30
L’IMMEUBLE D’HABITATION DANS LES VIEILLES VILLES TUNISIENNES : L’EXEMPLE DE SFAX UNE APPROCHE CULTURELLE ET URBANISTIQUE

La ville témoigne de la civilisation d’un pays grâce aux arts du bâti qui s’y épanouissent et que viennent concrétiser les contenus socioculturels dont la maison traditionnelle, en particulier, est porteuse. Elle donne forme aux espaces vides et constitue la synthèse de multiples savoirs sur les arts du bâti et de la forme architecturale et sur les exigences des différents modes de vie. Ces savoirs – qu’Ibn Khaldoun appelle « les savoirs du travail » – sont transmis d’aîné à aîné, d’une génération à la suivante, chacune apportant des innovations, de sorte qu’il se constitue un cumul des connaissances et que des avancées sont constatées à chaque étape.
L’habitation repose sur une dualité : elle est à la fois espace construit et espace habité. L’habitat traditionnel se caractérise par l’utilisation de matériaux naturels, puisés dans l’environnement proche, et se fonde sur des compétences nées des expériences accumulées par des générations d’ouvriers qui opèrent sur la base d’une planification bien connue où espaces vides et découverts et espaces recouverts d’un toit se complètent. Le bâtiment est aussi un espace habité, il abrite une famille dont l’extension dépend du mode de vie, des pratiques et des us et coutumes de ses membres.
Les traditions représentent le type de comportement adopté par l’individu ou le groupe qui suivent l’exemple de leurs aïeux et restent attachés à leurs habitudes, lesquelles ont gardé la mémoire de comportements hérités à travers les âges. Dans le domaine du bâtiment, les traditions se rapportent à ce cumul d’expérience que produisent la pérennité des pratiques et la transmission ininterrompue qui, d’ancêtre à héritier, s’effectue dans le respect implicite des modèles transmis.
L’habitation traditionnelle étant en soi une forme de préparation de l’homme à s’intégrer à l’espace où il est appelé à vivre, c’est-à-dire à un mode de vie influencé par la culture, les valeurs, les institutions et  la base économique du groupe, les coutumes en matière de logement constituent une expression directe et en même temps inconsciente de la culture qui est la leur, tant dans son contenu matériel qu’immatériel, et une concrétisation de savoirs et de compétences accumulées.  Elle a abouti à la création de modèles et de types d’habitations qui ont implicitement acquis un caractère normatif et contraignant. Ainsi les traditions trahissent-elles un mode comportemental spontanément adopté et suivi, mais qui, en réalité, a quasiment valeur d’injonction.
Malgré ses dimensions réduites, la Tunisie est riche en réalisations architecturales traditionnelles. Les habitations diffèrent d’une région à l’autre, et même, parfois à l’intérieur de la même région. Les habitations du Djérid ne sont pas celles de la côte, même si le plan des maisons présente certaines similitudes, liées sans doute à la grande proximité des modes de vie, ce qui, en soi, reflète la profondeur du savoir acquis par les maçons de chaque région grâce à l’expérience et à la transmission, savoir qu’ils ont su intelligemment matérialiser dans l’art de bâtir des constructions adaptées aux conditions climatiques et puisant dans le milieu naturel des matériaux s’intégrant parfaitement à l’espace urbain et répondant aux besoins liés au mode de vie.
Les traditions sont l’immatérielle concrétisation de la culture populaire avec ses exigences et ses valeurs ; elles incarnent les désirs, les rêves et les préférences des hommes, et sont, en même temps, une représentation de l’univers qu’elles redessinent à travers le matériau et l’expression de l’homme et de ses aspirations. La forme du bâtiment n’est-elle pas le produit de l’interpénétration de facteurs aussi nombreux que complexes qui sont tout à la fois d’ordre culturel, social et naturel. Le climat, le relief et la nature des matériaux de construction ont un impact certain sur la forme de l’habitat, mais l’organisation des espaces vides s’explique essentiellement par des données culturelles, tels que le mode de vie, les croyances, les pratiques religieuses, la structure de la famille, les traditions alimentaires, la base économique, etc. Aussi l’habitation est-elle l’inscription dans l’espace des réponses propres à satisfaire, dans le cadre d’une culture  donnée, aux demandes matérielles et immatérielles des hommes.
A la vérité, l’habitation, avant que d’être un ensemble de formes créées par l’homme, est, par excellence, un phénomène relevant de la culture et de la civilisation.
L’habitation traditionnelle est un patrimoine tout à la fois matériel et immatériel. Patrimoine matériel, elle l’est par ses formes, ses composantes et ses matériaux ; patrimoine immatériel, elle l’est par les savoirs et les arts qui ont contribué à son édification, les fonctions qu’elle assume, les symboles et les représentations qu’elle induit. Elle est le patrimoine même, dans son intégralité, sa cohérence et son exhaustivité. C’est pour toutes ces raisons que l’habitat traditionnel pose nombre de questions, telles que celles de la conservation et de la fonctionnalité.
Production matérielle à vocation d’abri, l’habitation traditionnelle représente un fardeau pour son propriétaire, qu’il soit individu ou  groupe, qui doit en assurer l’entretien, surtout s’il doit s’en charger en dehors d’un projet d’investissement propre à lui donner une nouvelle fonctionnalité.
La sauvegarde du patrimoine immatériel exigeant un tel changement de fonction, faut-il pour autant reproduire l’héritage, qui est fait de savoirs et de techniques architecturales, dans des contextes qui ne sont plus les siens ? En d’autres termes, faut-il, par exemple renouer avec la construction des dômes, des voûtes et des arches de façon artificielle et sans que cela réponde à une nécessité architecturelle ou à une fonction utilitaire ?
La sauvegarde du patrimoine est tributaire de la résolution de deux équations, au moins.
La première consiste en l’adéquation de l’expression extérieure, c’est-à-dire de l’écriture architecturale, avec les formes intérieures et la géométrie des vides fonctionnels. La seconde est liée à l’adaptation des formes architecturales aux modes de vie qui ont pu survivre et aux évolutions conséquentes à d’autres pratiques sociales.

Naceur Baklouti
Tunisie

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