LE JOUQ DANS LA MUSIQUE INSTRUMENTALE MAROCAINE
Issue 30
C’est le jouq qui donne forme à toutes les œuvres musicales : il est à la fois l’instrumentiste et l’interprète de toute mélodie écrite. Sa performance requiert dextérité et capacité à transformer le texte théorique en prestation musicale, au niveau instrumental ou vocal, de sorte que la création poétique devient chant et mélodie.
Le rôle joué par le jouq dans le domaine de la musique instrumentale incite l’auteur à mettre en lumière certains aspects relatifs à la nature, spécificités et composantes de ce type de pratique, et à s’arrêter sur les caractéristiques des instruments servant à l’exécution de la nouba, ces différentes données constituant un tout, aux plans poétique et musical.
Les rythmes et strophes musicales exécutés par le jouq sont l’image véritable de l’impression mélodique qui se matérialise et s’imprime dans la perception des auditeurs. On peut même dire que c’est la performance du jouq, avec ses réussites et ses défaillances, qui décide à des degrés divers de l’interaction entre la matière musicale transmise et ses modes de réception. Et c’est cela qui influe positivement ou négativement sur l’avenir du jouq, qui peut même hypothéquer sa carrière, en élargissant ou en réduisant la base de son public.
La compétition entre les jouq et la volonté de chacun d’entre eux d’être à l’avant-garde de cet art ont poussé certains de ces groupes à expérimenter des instruments inconnus jusque-là ou nouveaux dans ce domaine, si bien que le public averti s’est divisé entre l’adhésion souvent enthousiaste et le rejet de ces innovations en tant qu’elles contreviennent aux traditions instrumentales les mieux ancrées.
Les partisans de cette modernisation ont en effet considéré l’abandon des formes habituelles et l’adoption de nouvelles formules ne peut que faire évoluer la musique ancestrale, contribuant à la consécration de cet héritage vocal et élargissant son aire de réception. Ils y ont même vu une forme d’ouverture et un moyen de bénéficier des nouveaux acquis de la musique mondiale. Parmi ces partisans, nous pouvons citer Moulay Mohamed El Ouakily qui a défendu le droit légitime de cette musique à enrichir son répertoire en s’aidant de nouveaux instruments. Quant à Larbi El Temsamani, il est considéré comme un nouvel interprète qui œuvre à donner à ce genre musical une dimension universelle.
En face, l’école conservatrice de Fez défend l’idée que se limiter aux instruments consacrés par la tradition est le plus sûr moyen de préserver la pureté mélodique, ainsi que l’éclat et la naturalité de cette musique. Le regretté Abdelkrim El Raïs fut le plus grand défenseur de cette optique traditionnaliste.
C’est le jouq qui donne véritablement corps à l’écrit musical, c’est lui qui se charge, dans un cadre collectif, de l’exécution de ce que ses membres ont appris sous la houlette du chef, el mou’allem, plus connu sous l’appellation moderne de maestro. Le titre de mou’allem est décerné à celui qui est allé très loin dans l’acquisition du savoir musical, la connaissance des règles et des domaines de la mélodie et la maîtrise de l’un ou l’autre des instruments, tout en alliant une intelligence exceptionnelle de son art à de vastes capacités créatrices, de sorte que sa performance se hisse au niveau des exigences du texte mélodique et exclut les défaillances que peuvent connaître les autres membres du jouq. Son puissant charisme et la rigueur avec laquelle il dirige son équipe permettent au mo’allem de connaître les secrets de son jouq et de contribuer à la distribution des rôles entre ses membres ainsi qu’à la sélection des instrumentistes et des chanteurs les plus performants.
Khaled Helali
Maroc