Revue Spécialiséé Trimestrielle

L’ARTISANAT TRADITIONNEL ET LES AUTRES METIERS DANS LA VILLE DE TAZA (MAROC) AU TEMPS DE LA COLONISATION FRANçaise : continuite et mutations

Issue 29
L’ARTISANAT TRADITIONNEL ET LES AUTRES METIERS DANS LA VILLE DE TAZA (MAROC) AU TEMPS DE LA COLONISATION FRANçaise : continuite et mutations

Fabricants et artisans ont constitué l’une des bases économiques et humaines des villes arabes et islamiques, en général, et des villes marocaines, en particulier. Ils constituaient une proportion importante de la population et contribuaient dans une large mesure à la vie économique du pays. Leur activité se situait en effet au deuxième rang, juste derrière l’agriculture, aussi bien au niveau de l’imposition que du revenu global du pays. Ces secteurs d’activité vont toutefois connaître, dans la ville de Taza, des changements profonds avec l’instauration du protectorat français. La ville a vu, en effet, au lendemain de son occupation par les forces coloniales, un afflux de migrants européens, dont certains ont amené des capitaux importants qui leur ont permis de créer des industries dans divers domaines, en bénéficiant de tout le soutien d’autorités coloniales soucieuses d’alléger les dépenses liées aux importations et d’établir une base industrielle au service des intérêts de la métropole. La vie économique a commencé, dès lors, à évoluer dans la ville, à raison de l’impact de ces industries nouvelles sur la structure des métiers et de l’artisanat traditionnel, lesquels ne pouvaient résister au rouleau compresseur de l’économie capitaliste.

 

Quel sera donc le sort de ces activités locales après l’occupation de Taza ?
L’importation depuis l’Europe à Taza de produits industriels a influé négativement sur le développement de l’artisanat local, créant même une situation de crise. Certains secteurs se sont, il est vrai, adaptés aux nouvelles mutations qui ont accompagné les premières années de l’occupation de la ville, et les artisans ont pu sauvegarder leur présence et leur statut, mais cette  continuité s’explique surtout par le fait que toutes ces activités ont bénéficié de leur concentration à l’intérieur de la vieille ville, la nouvelle ayant alors à peine commencé à être édifiée. Le recensement de 1926 confirme cette résistance de certains métiers traditionnels face aux industries modernes qui s’étaient implantées dans la ville. Les tisserands étaient en effet au nombre de 116, un chiffre que l’on peut considérer comme important et, en tout cas, significatif du niveau de résistance jusqu’à cette date des métiers du tissage et de leur capacité à préserver leur position au sein de l’économie locale. Notons que, dans le même temps, le nombre de celliers s’élevait à sept, les teinturiers à trois et les forgerons à 37.

Ces activités artisanales allaient, néanmoins, connaître, de nombreux aléas qui ont finalement conduit au recul ou à la disparition de nombreux métiers qui furent incapables de s’adapter aux nouvelles évolutions. On citera, ici, les deux cas de la teinturerie et de la savonnerie. Moussard écrivait, dès 1936, que ces deux spécialités « avaient disparu, que les tisserands ne sont plus que 26 (…), et que l’association caritative venait en aide à ces 26 artisans mais aussi à six cordonniers. » Le même auteur estime que la disparition des métiers du tissage a pour cause l’invasion des produits industriels venus de l’étranger qui ont investi en masse le marché et commencé à offrir au consommateur une marchandise à bas prix. Quant à la savonnerie, elle n’a pu résister à la concurrence du savon de Marseille.

On constate en examinant l’état de certaines activités artisanales de la ville de Taza, à l’époque coloniale, que celles-ci ont connu d’importantes mutations structurelles qui on influé sur leur place dans la production et l’économie, en général. Car, à l’exception de certains métiers à vocation artistique, comme la l’artisanat du tapis, le reste des métiers traditionnels a connu une crise profonde due à ce choc avec  l’économie capitaliste libérale. Le rôle social de l’artisanat a également régressé, suite à la faillite d’un nombre considérable de patrons, de sorte que le rôle que jouaient ces métiers est devenu secondaire sur le marché de l’emploi. Ce rapide déclin a permis au secteur économique colonial d’asseoir sa mainmise sur l’ensemble des secteurs productifs de la ville. On comprend dès lors que tout le poids de l’économie soit passé de la vieille à la nouvelle ville où les Européens ont édifié des industries modernes et avancées.

Jalal Zain Alabdeen
Maroc

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