QUI EST DONC LE JUJUBIER ?
Issue 24
Nous comparons, dans nos proverbes et dictons, la personne aimante, généreuse, pleine de sollicitude pour les nécessiteux au jujubier qui vous recouvre de son ombre et dont les branches s’étendent sur de grandes distances, figurant ainsi le rêve qui est celui de toute mère tendre et pleine d’humanité d’être pourvue de plusieurs bras aussi longs et solides que les branches de cet arbre afin de secourir et de prendre sous son aile tous ceux qui lui sont chers, qu’ils vivent au loin ou à proximité. Une mère, le jujubier, à l’ombre de qui se chacun des siens trouverait refuge sans qu’elle ressente le moindre désagrément à voir les uns se suspendre à ses branches ou y jouer à l’escarpolette ; sans que l’insupportent les tentatives d’escalader ses ramures ou le jeu de ceux qui lancent des pierres dans ses frondaisons ou les fouillent avec des bâtons pour faire tomber ses fruits. Peut-être même, cette mère-jujubier trouverait-elle une sorte de bonheur à être ainsi prise d’assaut car c’est cela qui va conférer un sens plus fort, plus profond à son existence et renforcer sa capacité à donner toujours davantage, avec à chaque fois plus de largesse et d’abnégation, avec une prodigalité qui lui permette d’offrir jusqu’à l’ultime fruit de ses entrailles, jusqu’à la plus petite graine qu’elle n’aurait semée que pour pouvoir, si elle venait pour quelque raison à être coupée, de nouveau repousser et de nouveau dispenser ses biens.
Car le jujubier est un arbre que personne n’a planté, un arbre généreux, qui vit longtemps, dans les conditions les plus difficiles, sans l’aide de qui que ce soit, sans avoir besoin d’être émondé ou entretenu – un arbre capable de se protéger lui-même contre les fléaux, d’amener par lui-même ses fruits à maturité et de rester vert, toute l’année. C’est pourtant un arbre mélancolique, rendu vulnérable par cette nostalgie infinie d’amour qui est en lui qui le rapproche des ascètes et des anachorètes, qui le rend si proche des pauvres, des errants, des affamés, des apeurés, de ceux qui fuient la persécution, de ceux qui ont été jetés sur les chemins de l’exode… Mais son mutisme et sa sérénité ont un autre visage pour ceux qui sèment la terreur, et dont le cœur est plein de haine, pour ceux-là qui écrasent le faible et se moquent de la foi : un visage de colère dont la fureur dévastatrice ne saurait connaître la clémence ni l’apaisement. Ceux-là qui ont découvert cet autre visage se sont empressés de propager la peur qu’ils en ont ressentie, répandant cette nouvelle et sombre image de l’arbre parmi les gens, y compris ceux qui ont le plus grand besoin des bienfaits de cet arbre, si bien qu’une représentation maléfique a éloigné de fort nombreuses personnes du jujubier.
Mais ceux qui ont aimé cet arbre ont veillé à transmettre aux autres l’amour et le respect qu’il leur inspire, un amour sans partage qui a gagné à jamais les cœurs au point que les hommes ont fait de cet arbre une divinité. On dit que le premier homme à avoir cherché un abri sous cet arbre est notre père Adam – que la Paix soit sur lui – et que c’est de son fruit qu’il s’est nourri après avoir été chassé du paradis. L’essence du jujubier devrait donc, pour autant que ce récit soit véridique, continuer à couler dans les veines des hommes jusqu’à la fin des temps.
Peut-être le jujubier fut-il présent au tout début de l’aventure humaine et qu’il se trouve dans l’au-delà, au plus haut des sphères célestes, un jujubier de la finitude où devrait s’arrêter le parcours des hommes.
Tant de contrats et tant de marchés ont été conclus sous cet arbre, tant d’armées sont venues se reposer à son ombre et tant de fêtes, tant de rites ont été célébrés sous sa ramure. Les amants y ont trouvé leur cachette, les poètes leur source d’inspiration et les palais leur plus bel ornement. Le jujubier s’est tenu en sentinelle aux abords des temples et en gardien dans les cimetières. Il a essaimé en de vastes forêts qui ont nourri peuples et tribus, lesquels l’ont sacralisé en retour, l’adorant et lui apportant les offrandes afin de lui dire leur reconnaissance, célébrer ses vertus ou se prémunir contre sa colère.
Ses fruits furent offerts aux nouveaux mariés, ses branches servirent à fabriquer les lits pour les enfants, de ses épines furent confectionnées des amulettes pour contrer les maléfices et les dangers, et de son feuillage on tressa les fétiches et les talismans. Le jujubier accompagna les morts à leur dernière demeure et fut enterré avec eux afin qu’en lui ils se perpétuent et trouvent un ami et un confident. Quel arbre autre que le jujubier ferait escorte au fils d’Adam depuis le jour de sa naissance jusqu’à sa mort et, même, au-delà, jusqu’à sa résurrection !
L’auteur a tenté dans ce travail de dissiper certains des mystères qui ont toujours entouré le jujubier et ses fruits et de percer le secret des légendes qui se sont répandues autour de cet arbre, dans plusieurs régions du monde, en remontant jusqu’aux racines de ces récits, soit jusqu’aux premiers âges de l’humanité, jusqu’à l’âge d’or des plus belles et des plus anciennes civilisations sur terre.
Bezza Al Batny
Koweit