Revue Spécialiséé Trimestrielle

Le Flamenco: Chansons, Musique Et Danses

Issue 20
Le Flamenco: Chansons, Musique Et Danses

L’Espagne est le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre de danses ; on a même pu dire que, si l’on peut considérer la France comme la « nourrice » de la danse, c’est bien l’Espagne qui en est la mère véritable. L’Andalousie est sans doute le meilleur critère pour repérer les diverses influences qui ont marqué cet art, sachant que les danses andalouses sont les seules formes de danse traditionnelle à être encore pratiquées de nos jours. 

Les spécialistes répartissent habituellement les danses en deux groupes principaux : les danses traditionnelles et le flamenco. Les danses les plus connues sont sans doute : le tango, la farucca et le jarutin. Les tziganes ont insufflé, depuis le XVIIIe siècle, un sang nouveau à la musique espagnole ; ils ont été pour de nombreux compositeurs espagnols, dont Manuel de Falla est peut-être le plus connu, une source d’inspiration dans la conception de leurs plus belles œuvres. On a pu dire que c’est à travers la musique que s’exprime l’âme tzigane, même si ce peuple a donné naissance à un nombre important d’écrivains, de penseurs, de poètes mais aussi de danseurs, depuis que ses membres, venus  au XVIIIe siècle du nord de l’Inde, se sont fixés en Espagne. 

Du fait de sa position géographique, ce pays a subi, au long de son histoire,  de nombreuses influences, dont la présence arabe fut la plus féconde et sans doute la plus déterminante. Pendant près de huit siècles – 711 à 1492 – la civilisation arabo-musulmane s’est en effet enracinée dans la péninsule ibérique. Deux cultures se sont ainsi profondément imprégnées l’une de l’autre, marquant à tous les niveaux, matériel et spirituel, la vie de la Péninsule ibérique. 

 La musique est sans doute l’art qui reflète le plus fortement cette interaction. Originaires de l’Orient, les Arabes ont en effet apporté avec eux leurs mélodies, leurs maqamat (pluriel de maqam : strophe chantée), leurs rythmes mais aussi leurs instruments de musique. Leurs grands compositeurs, et à leur tête Ziryab, ont afflué en Andalousie où ils ont introduit les plus belles traditions musicales des époques omeyyade et abbasside qu’ils ont implantées dans le terreau andalou, tout en les enrichissant d’apports spécifiques à cette région du monde. Ziryab a créé, à Cordoue, une école qui a contribué à la diffusion de la musique arabe, grâce à des méthodes d’enseignement qui sont considérées comme les plus anciennes du monde, dans les différents domaines de la musique, du chant, de la danse et des récitals de poésie. 

L’interaction des différentes inspirations culturelles a donné naissance aux arts du flamenco qui étaient en fait des compositions musicales empreintes d’une tristesse et d’une mélancolie à travers lesquelles s’exprimaient les sentiments des hommes face à l’injustice sociale, aux épreuves de la vie, à la misère générale. Les tziganes prétendent être les fondateurs de cet art, mais, sans nier le rôle important qu’ils ont joué dans l’essor du flamenco, l’influence de la musique populaire arabe et des danses andalouses sur cet art a été essentielle. Nul doute que le flamenco porte la marque des rythmes orientaux, ceux typiques de Byzance mais aussi des chants primitifs de l’Andalousie et, plus généralement, du patrimoine populaire arabe. Une telle influence se retrouve en particulier dans le folklore de nombreux villages proches de Grenade où vivaient les morisques. Les chants du flamenco témoignent de l’impact de la musique arabe et de ses anciennes structures sur cet art. La meilleure preuve en est la grande ressemblance qui existe entre les chansons andalouses et le flamenco. De même, la plupart des chansons relevant de cet art, en particulier celles qui sont produites lors de la célébration de la Nativité du Christ, semblent-elles, tant au niveau du style que des modulations de la voix et de la charge affective dont elles sont porteuses, de véritables copies de celles de l’Afrique du nord. Il est plus que probable que les morisques furent les premiers à inventer ce type de chansons qu’ils adressaient comme autant de supplications à l’Eglise et aux tribunaux de l’Inquisition. On retrouve également les racines arabes dans le chant lui-même qui vient du fond de la gorge mais aussi dans les sonorités produites par la guitare qui a été influencée par l’aoud arabe. 

La valeur artistique du flamenco qui, aujourd’hui, contribue tant à la grandeur de l’Espagne, dans les deux domaines de la musique et de la danse, n’a pourtant été reconnue que dans les dernières décennies du XIXe siècle. Cette musique était en effet le plus souvent considérée comme simpliste, voire vulgaire, en raison de ses attaches avec les tziganes qui étaient relégués au plus bas de l’échelle sociale. Ce n’est qu’en 1860 que le flamenco a timidement commencé à se propager en dehors du triangle andalou où les tziganes s’étaient établis ; il a ensuite touché les villes et les grandes agglomérations espagnoles, telles que Madrid ou Barcelone. A partir de l’année 1910, il a connu un des moments les plus fastes de son histoire, en investissant les scènes de théâtre sur lesquelles étaient présentées de magnifiques exhibitions artistiques dans lesquelles le monde allait découvrir de riches gisements d’émotion et des formes sublimes de jouissance artistique. Un tel succès a incité les professionnels du flamenco à réfléchir aux moyens de développer cet art, de le renouveler et d’en diversifier les structures et les modes d’exécution, de sorte qu’aux chants tristes puissent s’adjoindre des tonalités plus heureuses, que le flamenco donne lieu à des performances aussi bien individuelles que collectives et que sa musique intègre le piano aussi bien que la guitare ou d’autres types d’instruments. 

L’art du flamenco reflète à l’évidence les us et coutumes de la société tzigane où les mâles occupent toute la scène publique alors que la femme est confinée dans les rôles traditionnels qui lui sont assignés. Mais, lors de la danse, d’autres rites apparaissent qui subvertissent le code traditionnel et s’en libèrent. Le début de la danse consacre de façon puissante la domination de la femme et sa mainmise sur la scène de la danse ; les hommes font ensuite, de façon graduelle, leur apparition ; les pas de danse accomplis par les femmes vont inciter le chanteur à multiplier les angles d’attaque pour donner toute leur force aux poèmes d’amour qui célèbrent la beauté et la féminité de la danseuse. La danse offre ainsi aux femmes tziganes une occasion unique de changer de statut social. Les danseuses portent un vêtement gai, coloré et ample, qui est inspiré des habits traditionnels de son peuple, alors que les hommes mettent des chemises étroites et bariolées et des pantalons également étroits. Femmes et hommes portent des chaussures lourdes qui produisent des sons pareils à des explosions lorsqu’ils frappent le sol. Leurs ancêtres avaient coutume de mettre de hauts talons pour produire ces sons puissants ; ils portaient en outre des chapeaux traditionnels que ni les chanteurs ni les danseurs ne semblent apprécier, aujourd’hui. 

 

Mohamed Mahmoud Fayed

Egypte

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